La vie de merde de mon père, la vie de merde de ma mère et ma jeunesse de merde à moi, Andréas Altmann (par Arnaud Genon)
La vie de merde de mon père, la vie de merde de ma mère et ma jeunesse de merde à moi, mai 2019, trad. allemand Matthieu Dumont, 336 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Andréas Altmann Edition: Actes SudLe livre de son père
Avec Vipère au poing (1948), Hervé Bazin avait écrit le roman autobiographique de la haine maternelle. On se souvient du petit Jean Rezeau, alias Brasse-Bouillon, engageant avec sa Folcoche de mère une guerre des tranchées au sein même du domaine familial, devant le regard impuissant des autres membres de la famille. Plus d’un demi-siècle plus tard, Andréas Altmann nous propose dans La vie de merde de mon père…, la version allemande et père-fils du désamour familial, un anti Livre de ma mère (1) qui célèbre la détestation de la figure paternelle.
Dès les premières pages, l’auteur-narrateur-personnage donne le « la ». Il tiendra la note douloureuse tout au long du récit : « Je suis prêt à témoigner à charge contre mon père, tout ce qu’il faudra. Au cours des cent prochaines pages, si elles suffisent, j’étalerai au grand jour ses infamies, sans éluder aucun forfait ». Ce père, c’est Franz Xaver Altmann. Il a porté l’uniforme SS pendant la guerre et en est revenu « tel un zombie pour repartir de plus belle à la guerre tout au long de la seconde moitié de sa vie. Mais cette fois la zone de combat n’était plus quelque Oural lointain, mais sa propre famille ».
Fabricant de bondieuseries à Altötting, principal lieu de pèlerinage d’Allemagne dédié à la Vierge Marie, il impose à sa femme et ses enfants son autorité tyrannique, sa perversité sadique, les rouant de coups et les humiliant à la moindre occasion.
Rapidement, Andréas va devoir lutter seul avec ses frères contre cet homme « qui haïssait tout ». Sa mère, ultime humiliation, est mise dehors, remplacée par une autre, Detta, qui subira à son tour la fureur du despote. Privé de nourriture, forcé au travail dans l’entreprise familiale après l’école et à divers travaux ménagers, il entre en résistance : vente de la collection de timbres du père, de rosaires volés dans l’atelier, petits larcins, mensonges, sabotages et rêves de parricide sont désormais les armes de l’enfant pour se défendre de l’ennemi de sa vie, de qui il veut paradoxalement être admiré. De son côté, sa mère, « faible », « dépourvue de courage », survit grâce à des petits boulots, mal payés. On imagine les conséquences sur la vie du narrateur d’une telle enfance. Quand, à dix-neuf ans, il sera enfin libéré du joug de son père, la peur continuera à lui « trifouiller l’estomac ». Mais sa vie, marquée à jamais, sera désormais autre.
Au début de son récit, Andréas Altmann notait, citant Georges Simenon : « En tant qu’écrivain, je ne suis pas là pour juger mais pour comprendre ». Pourquoi et comment cet homme-là était-il devenu cet être sans joie, sans amis, « creux » ? L’énigme subsiste à la fin du livre. Mais si la figure paternelle reste obscure et impénétrable, on mesure la force dont a eu besoin l’enfant pour surmonter cette « vie de merde » et la transformer en œuvre poignante, ironique et lucide. Certains s’étonneront qu’un fils puisse écrire un tel livre sur son père. Un livre dur, noir, sans concession. Andréas Altmann répond lui-même : « Après tout, ayant été le souffre-douleur préféré de mon père, ma haine est mon droit ». Et plus qu’un livre de haine, La vie de merde de mon père, la vie de merde de ma mère et ma jeunesse de merde à moi se lira surtout comme un livre de résistance qui a su transformer le pire en meilleur : « Mes blessures sont, je suppose, le prix à payer pour mon sauvetage. Autrement dit : si j’avais eu une enfance paisible, je n’aurais jamais commencé à écrire, et je n’aurais certainement jamais pu parcourir le monde en tous sens – jour et nuit rémunéré. Je ne sais pas si cette dernière phrase est correcte, mais elle résonne curieusement comme une vérité ».
Arnaud Genon
(1) Albert Cohen, Le livre de ma mère, Gallimard, 1954
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