La vie de Marie, Rainer Maria Rilke
La Vie de Marie, traduit de l’allemand par Claire Lucques, Edition bilingue, 88 pages, 11 €
Ecrivain(s): Rainer Maria Rilke Edition: Arfuyen
Cet ouvrage précieux présente en treize tableaux poétiques, disposés chronologiquement, la vie de Marie de sa naissance à sa mort.
Face au texte original en allemand, l’excellente traduction de Claire Lucques, qui réussit à en rendre au mieux l’esprit, la lettre et la force poétique, permet au lecteur non initié à la langue de Goethe d’entrer dans le monde torturé de Rainer Maria Rilke et d’en ressentir toute la puissance lyrique.
Mais l’édition bilingue offre à ceux qui ont la chance de pouvoir lire ces poèmes dans le texte initial, qu’ils soient croyants ou non, la possibilité d’une communion particulièrement intense, voire bouleversante, par-delà les années et au-delà de la mort du poète, avec l’âme de Rilke le mystique.
Dès la première strophe s’annonce le souffle poétique qui a inspiré le poète tout au long de ces treize compositions.
O was muß es die Engel gekostet haben,
nicht aufzusingen plötzlich, wie man aufweint,
die sie doch wußten : in dieser Nacht wird dem Knaben
die Mutter geboren, dem Einen, der bald erscheint.
Le texte peut être lu, compris, interprété, partagé sur deux niveaux.
En y entrant comme en un temple, avec l’humilité ou la ferveur que confère la foi, on éprouvera, ligne après ligne, en totale empathie, l’extase de Rainer devant la sainteté, la déité, et la pureté de Marie, et on visitera l’opuscule avec vénération, avec des pauses de recueillement, ayant constamment devant les yeux, projetée avec éclat par le verbe éblouissant du poète, la personne divine de la Mère de Jésus telle que dut ou crut la voir Bernadette Soubirous.
Le vertige devant le prodige est insufflé par l’auteur, qui l’impose au lecteur en s’adressant directement à lui :
Pour comprendre comment elle était alors
tu dois évoquer d’abord un lieu
où des colonnes en toi s’élèvent, des marches
se sentent sous les pas, des arches vertigineuses
enjambent l’abîme d’un espace qui en toi
est resté…
En l’abordant comme une œuvre profane, avec la simple curiosité ou l’appétence de l’amateur de belles-lettres, on ressentira, en pleine affinité, la tristesse de Rilke évoquant la simplicité, les affres maternelles et l’esprit de sacrifice de Marie, et on parcourra le recueil avec l’émerveillement que procure la perfection d’un superbe cantique et la compassion que font naître inévitablement chez le lecteur les lamentations de la mater dolorosa.
Jetzt wird mein Elend voll, und namenlos
erfüllt es mich. Ich starre wie des Steins
Inneres starrt…
Ce livre est de ceux qu’on laisse en permanence sur sa table de chevet pour en savourer un morceau au hasard avant de s’endormir, comme le fait de sa Bible l’homme pieux.
La présentation savante que donne Claire Lucques en préface à ce cycle poétique, ainsi que la biographie de Rilke et les notes qui figurent à la fin du livre, aident à cerner la poétique rilkienne, l’ensemble pouvant constituer un bel « objet » d’étude littéraire.
Patryck Froissart
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