La veuve enceinte, les dessous de l'histoire, Martin Amis
La veuve enceinte, Les dessous de l’histoire (The Pregnant Widow), trad. de l’anglais (R.U.) par Bernard Hoepffner, Gallimard, Janvier 2012, 540 p. 27 €
Ecrivain(s): Martin Amis Edition: GallimardA réserver aux amateurs. Avec La veuve enceinte, Martin Amis fait du Martin Amis. Il y a là tout ce pour quoi ceux qui l’aiment, l’aiment. Mais aussi tout ce qui peut aussi les exaspérer. Alors, quant aux autres, qui ne connaissent pas l’auteur ou veulent le découvrir… Mais qu’importent les autres !
Martin Amis pousse cependant cette fois-ci le bouchon un (petit) peu trop loin et tombe ainsi (presque) dans une caricature de lui-même. Pour le meilleur, mais pas seulement. La veuve enceinte tire un peu trop à la ligne, frise parfois la complaisance. Les dialogues abondent et auraient gagné à être raccourcis, tout comme le livre, globalement. Mais pour les fans, il y a toujours cette verve satiriste, cet humour dévastateur qui fait mouche. Des situations décalées, des phrases percutantes, et une lucidité superbement cruelle.
Le personnage principal s’appelle Keith Nearing.
Keith… voilà un prénom qui fait jubiler tout admirateur qui se respecte de l’écrivain anglais. Un prénom qui ne peut qu’évoquer cet autre Keith, ce sublime salopard joueur de fléchettes de Keith Talent, le héros de London Fields, l’un des plus grands (si ce n’est le plus grand ?) roman amisien, l’un des monuments de la littérature contemporaine.
Dans London Fields, Amis présentait son Keith comme un « sale type ». Le Keith de La veuve enceinteest « un imbécile », « un dingue ». Ce qui ne peut que nous réjouir. Mais, au final, il ne sera malheureusement pas si dingue que ça…
Keith a vingt ans et, pendant l’été 1970, il va séjourner dans un château en Italie, en compagnie de sa petite amie, Lily, mais aussi de Shéhérazade, qui le fait fantasmer, et la non moins troublante Gloria, à l’attitude quelque peu « virile ». Virile parce que la révolution sexuelle est passée par là et que les femmes se sont mises à se comporter comme des garçons. Toutes les filles deviennent des « bites », c’est-à-dire qu’elles ne s’intéressent d’abord et avant tout qu’à leur propre plaisir. Elles se comportent ni plus, ni moins que comme des hommes.
Ce point de départ (groupe de personnages dans un lieu clos, révolution sexuelle) rappelle un autre roman de Martin Amis, Poupées crevées (avec là aussi un autre Keith, mais un nain obèse celui-là).Celui-ci avait été écrit pendant les années 70, il baignait dans la révolution sexuelle, en était presque une illustration, alors que La veuve enceinte en tire une espèce de bilan qui ne sera guère réjouissant.
(A la lumière de ces deux livres, on est d’ailleurs tenté de croire que Martin Amis n’est pas à son meilleur dans le « huis-clos ».)
Keith s’est remis avec Lily, après une séparation temporaire. Elle avait en effet voulu aller « jouer aux garçons ». Mais Keith aimerait bien plutôt mettre le grappin sur Shéhérazade et se lance dans diverses combines pour la faire succomber. Des combines pas toujours très adroites…
Keith pensait que l’été serait chaud et torride, mais il va surtout le passer plongé dans la lecture des classiques de la littérature anglaise dans lesquels, malheureusement, le sexe reste toujours très feutré.
En parallèle, il s’inquiète pour sa sœur, Violet, restée à Londres, et dont il reçoit des nouvelles par l’entremise des lettres de son frère. Violet, voilà un personnage hors-normes, complètement timbré, qui n’est pas sans rappeler un autre personnage de Londond Fields, l’enfant colosse et ultra violent qu’était Marmaduke.
Un sentiment mitigé ressort de la lecture de La veuve enceinte. Ce n’est pas le plus mauvais de l’auteur (Le chien jaune était bien plus faible), mais il ne boxe pas non plus dans la même catégorie que ses meilleurs ouvrages (Londond Fields, Money, money, L’information). Il y a un problème évident de rythme, un certain nombre de longueurs, mais Martin Amis reste Martin Amis et sait toujours nous réserver des moments de pure jouissance (littéraires celles-là). La preuve par l’exemple, avec la description d’un sac postal :
« [Keith] réfléchissait, de manière pas trop constructive, au sac de jute effiloché que Whittaker avait jeté sur son épaule quand ils avaient quitté le bar. Les sacs postaux italiens, supposait-il, comme les sacs postaux anglais, étaient fabriqués dans les prisons du pays, et le sac de jute de Whittaker avait vraiment l’air d’être l’œuvre d’un criminel (il paraissait tissé de mécontentement), avec dans la teinte de sa trame quelque chose de sociopathe de vaguement violet ».
Yann Suty
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