La Vengeance des mères, Jim Fergus
La Vengeance des mères, septembre 2016, trad. anglais (USA) Jean-Luc Piningre, 464 pages, 22 €
Ecrivain(s): Jim Fergus Edition: Le Cherche-Midi
Seize ans après la sortie en France de Mille femmes blanches, devenu rapidement un best-seller avec plus de 400.000 exemplaires vendus dans l’hexagone, Jim Fergus offre à ses lecteurs un second volet – il s’agira à terme d’une trilogie – avec La Vengeance des mères, poursuivant ainsi son plaidoyer à trois facettes : rendre justice aux peuples amérindiens exterminés, prôner le respect de la nature, mettre les femmes sur le devant de la scène.
Pour mémoire ou pour ceux et celles qui seraient passés à côté de Mille femmes blanches, rappelons le postulat de départ. Un accord secret aurait été passé entre le chef cheyenne Little Wolf et le président Grant pour échanger mille chevaux contre mille femmes blanches dans le but de favoriser l’intégration et la paix entre la nation américaine et les « Native ». Le second volet reprend le récit en 1875 après le massacre par l’armée américaine de la tribu de Little Wolf et le décès de l’héroïne principale May Dodd. Parmi les rescapés, des sœurs jumelles d’origine irlandaise, Meggie et Susie Kelly qui, dans leur fuite pour trouver refuge dans la tribu lakota de Crazy Horse, perdront leurs bébés victimes du froid glacial des montagnes du Dakota.
Bientôt, un petit groupe de nouvelles femmes blanches viendront les rejoindre. Parmi elles, une certaine Molly McGill qui exerce de manière naturelle un ascendant sur ses compagnes qui ont préféré la vie auprès des « sauvages » plutôt que de pourrir au fond des prisons ou des asiles des états de l’Union.
La retranscription par le rédacteur en chef du Chitown Magazine J.W. Dodd III, lointain descendant de May Dodd, des journaux intimes de Meggie Kelly et de Molly McGill forme la substance et la trame du roman.
Cette suite tout aussi romanesque que le premier opus confirme les qualités de storyteller de Jim Fergus, à savoir : capter l’attention, stimuler le désir d’en apprendre davantage, emporter la conviction du lecteur.
Pour ce faire, l’auteur pratique des choix pour certains arbitraires. Toutes ces femmes transplantées dans un milieu qui leur est totalement étranger sont des victimes. Victimes d’une « civilisation » qui les a rejetées, d’une justice aveugle, du patriarcat, des préjugés sexistes de l’époque, d’une condition sociale qui ne leur a laissé que la voie de la rébellion et de la délinquance pour arriver à survivre.
Elles incarnent par leurs origines le melting-pot des États-Unis du XIXe siècle. Les Irlandaises rebelles (les sœurs Kelly), la froide Norvégienne (Astrid Norstegard), les Anglaises (l’homosexuelle Lady Ann et sa servante Hannah), la Mexicaine (Maria Gálves), une Française (la danseuse de French cancan Lulu Larue), une « négresse » Euphemia, etc. Et l’auteur, au travers des différences de cultures, différences de tempérament, de la flamme à la glace, de la pudibonderie à la recherche de jouissance, brosse des portraits stéréotypés de cette gent féminine.
Tout le monde y trouve son compte alors que toutes ont un compte à régler avec leur passé.
Un compte de plus en plus lourd pour ces femmes dont les enfants, les maris, sont morts. Elles subissent le même sort que les indiens en conflit perpétuel avec les colons qui exterminent les troupeaux de bisons, leur principale source de nourriture, avec l’armée qui reniant les traités passés réduisent leurs territoires et leur livrent un combat sans merci.
Seule solution : se venger, épouser la cause des Cheyennes et des Lakotas, devenir des guerrières à l’instar de Pretty Nose, une arapaho qui combattra George Armstrong Custer à Little Big Horn et dont la photographie orne la couverture du livre.
Jim Fergus joue sur plusieurs registres en fonction de la personnalité de ses héroïnes et de quelques-uns de ses héros masculins dont les comportements oscillent entre détermination et hésitations, scrupules ou interdits religieux, attirances physiques ou répulsion. Soucieux d’échapper à toute critique de manichéisme, certaines cruautés propres aux croyances, aux traditions des indiens et à leurs guerres intestines y sont dénoncées sous la plume de Meggie Kelly. Les soldats yankees ne sont pas tous des monstres assoiffés de sang, et le seul personnage parfaitement détestable, le vrai méchant de l’histoire, est un sang-mêlé, Jules Séminole, à la tête de sa bande d’éclaireurs crows.
On peut parfois sourire (la séance de French cancan dans le campement frôle le burlesque), trouver les ficelles un peu trop voyantes, souffrir de quelques longueurs, mais le talent de l’auteur, sa parfaite connaissance des peuples amérindiens, sa capacité à mêler réalité et surnaturel, sa maîtrise du romanesque, finissent par emporter l’adhésion du lecteur.
La Vengeance des mères est une histoire de deuil, une histoire de souffrances, de haine, d’amour et d’espoir entremêlés. Une épopée poignante au cœur des Black Hills.
Catherine Dutigny/Elsa
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