La Vampire, ou la Vierge de Hongrie (1825), Étienne-Léon de Lamothe-Langon
La Vampire, ou la Vierge de Hongrie (1825), édition présentée et annotée par Florian Balduc, Librairie d’Otrante, coll. Méduséenne, janvier 2016, 228 pages, 30 €
Ecrivain(s): Étienne-Léon de Lamothe-Langon
Avec La Vampire, ou la Vierge de Hongrie, la Librairie d’Otrante de Florian Balduc nous promet « la première morte amoureuse et la première véritable femme vampire de la littérature française ». Les éditions du savant libraire poursuivent ainsi par ce roman leur exploration du romantisme noir européen et de ses sources. Le premier volume de la « collection méduséenne » proposait par exemple une anthologie de treize nouvelles qui, sous le titre Colliers de velours, parcours d’un récit vampirisé, suivait déjà les avatars de la figure de la morte amoureuse.
Le roman de Lamothe-Langon, daté de 1825, est accompagné de deux textes assez brefs de Florian Balduc – l’un insistant sur l’antériorité du texte de Lamothe-Langon par rapport à la Morte amoureuse de Gautier, l’autre donnant des éléments historiques sur la « peste vampirique » – d’une étude de Valery Rion sur la beauté méduséenne de l’héroïne, et d’un extrait de l’ouvrage d’Emily Gerard, The Land beyond the Forest, paru en 1888. Les travaux de cette dernière sur le folklore de Transylvanie auraient inspiré Bram Stoker, qui y aurait notamment trouvé le terme nosferatu.
On puise quelques informations intéressantes dans ce cortège critique, parfois un peu allusif ou académique, tandis que le texte d’Emily Gerard est hautement pittoresque. Mais surtout, et indépendamment de toute querelle de priorité entre Lamothe-Langon et Gautier, La Vampire, ou la Vierge de Hongrie est un roman réellement très séduisant.
L’intrigue articule amour et horreur : vierge abandonnée par son prétendant, la hongroise Alinska sort de son tombeau, et, femme-vampire, le poursuit de sa vengeance. Le fantastique est cependant assez discret : la peur, chez les autres personnages, vient avant tout de la ruine qu’elle peut apporter au foyer du colonel Delmont, son ancien amant devenu mari et père. Le titre et la préface de l’auteur ne laissant pas de doute au lecteur sur la véritable nature d’Alinska, la tension du roman est créée, en partie, par l’attente de cette compréhension de la part des personnages. Le texte est ainsi émaillé de discours d’Alinska évoquant clairement sa condition de morte-vive, qui n’ont de cesse, et d’une manière presque comique, d’être interprétés comme les marques d’une simple folie d’amour.
Toutefois, ce qui crée l’intérêt du roman à nos yeux est qu’Alinska est aussi et avant tout cette amoureuse qui s’insinue dans la famille de Delmont. D’une façon qui nous semble originale – mais peut-être les malles de la Librairie d’Otrante sont-elles pleines de récits de la même veine – la femme-vampire est installée au cœur du foyer qu’elle vient détruire : le vampirisme devient alors une manière de métaphore d’un ménage à trois ayant quitté l’empire du vaudeville pour les territoires du tragique et de la folie. La terreur se complique de pathétique, au spectacle de la destruction de la famille Delmont. De celle-ci, Alinska est certes l’agent démoniaque, sans n’être toutefois que cela : son attitude, ambivalente, se teinte parfois de regrets ou de remords. Mais le personnage le plus trouble est finalement Delmont, peu à peu reconquis par l’étrange Hongroise : en introduisant une manière de roman bourgeois dans ce récit terrifiant, Lamothe-Langon donne une résonance émotionnelle véritable à son histoire de vampire, tout en révélant, sous un masque fantastique, les abîmes tragiques que cachent les drames banals de l’amour marital.
Ivanne Rialland
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