La tunique de glace, William T. Volmann
La Tunique de glace (The Ice-Shirt), traduit de l’anglais (USA) par Pierre Demarty janvier 2013, 680 p. 22 €
Ecrivain(s): William T. Volmann Edition: Le Cherche-Midi
La Tunique de Glace est l’un des « Sept rêves » de William T. Vollmann, une saga monumentale dont, à ce jour, quatre volumes ont été publiés : les volumes 1 (La Tunique de glace), 2 (Fathers and Crows, 1992, inédit en français), 3 (Argall : The True Story of Pocahontas and Captain John smith, 2001, inédit en français) et 6 (Les Fusils, 1994, Le Cherche-Midi, repris en Babel).
Dans ses Sept rêves, William T. Vollmann cherche à créer une « Histoire symbolique » de l’Amérique, c’est-à-dire un récit de ses origines et de ses métamorphoses. Et Vollmann n’est, bien heureusement pour nous, pas un historien ! Avec lui, la vérité n’est pas toujours littérale. Il prend ses aises avec elle. Il mélange les récits, triche sur les emplacements et les descriptions, détourne ses sources (l’auteur nous l’avoue, mais le profane n’y verra sans doute que du feu…).
Pour Vollmann, cette infidélité permet « une appréhension plus profonde de la vérité ». Il dit qu’il fait dans ce Rêve plusieurs choses qui n’ont, à strictement parler, aucune justification, mais à ses yeux, cela signifie qu’elles sont « parfaitement valables ».
La fiction devient le véritable révélateur de la vérité.
L’une des questions lancinante de l’œuvre vollmanienne est la recherche des origines héroïque et sanglante de l’Amérique, mais aussi les fondements de la violence (comme il l’avait exploré dans Le livre des violences). Dans La Tunique de glace, il se penche sur la question en revisitant les grandes sagas nordiques. Car, pour lui, l’Amérique, ce sont d’abord… les Vikings !
Venue de Suède, de Norvège ou d’Islande, une longue lignée de rois vikings s’apprête à franchir les océans de glace qui les séparent d’une terre mythique, le Vinland, une terre de fantasmes, qui, quelques siècles plus tard, prendra pour nom celui d’Amérique. Cinq cents ans avant Christophe Colomb, Erik Le Rouge, Leif Le Chanceux, Freydis Eiroksdottir et quelques autres seront ainsi les premiers découvreurs du continent.
Mais leurs rêves de terres promises se transformeront aussi en cauchemars quand leur route croisera celle des féroces Skraelings, des autochtones au sens de l’accueil assez particulier…
D’abord, Vollmann nous plonge dans un monde de légendes, un monde d’heroïc fantasy, dans la lignée du Seigneur des anneaux, à l’atmosphère résolument fantastique. Il est par exemple question des Métamorphes, une lignée de rois qui se transforment en animaux.
En se basant sur ses légendes fantasmagoriques, il semble prétendre que l’Amérique a des origines surnaturelles. Mais c’est aussi pour provoquer un effet, ainsi qu’il l’explique dans la postface :
« Les Norrois avaient-ils vraiment de la glace dans le cœur lorsqu’ils débarquèrent dans le Nouveau Monde ? Bien sûr que non. Mais si l’on considère l’épisode du Vinland comme une préfiguration des infamies qui seraient par la suite commises dans ce même lieu, bien sûr que oui ».
Au fur et à mesure qu’il retrace toute cette généalogie des rois, Vollmann va peu à peu gagner en réalisme.
De temps en temps, il interrompt son récit. Il effectue un bond de mille années en avant pour nous raconter comment est l’endroit qu’il décrit à l’époque où il est lui-même en train de composer son roman. Il se met en scène comme chercheur, comme aventurier (et il aime donner de sa personne, comme on a pu le constater dans Les Fusils ou Le livre des violences).
Les interventions d’un « je », qui ponctuent ici et là le récit, témoignent que Vollmann est toujours là pour tirer les manettes, que cette histoire est d’abord et avant tout littéraire. Ses remarques jettent un pont entre les époques, pour expliquer que les lieux gardent à jamais l’histoire dont ils sont chargés.
« Portons-nous nos paysages sur nous, scellés dans nos cœurs de glace, et sommes-nous capables d’en revêtir ce qu’il y avait là jadis, de même que nous pouvons nous draper à jamais dans les manteaux roides et craquelants qui reposent dans le permafrost du cimetière de Herjolfsness ».
Il est très difficile, voire quasi impossible de résumer La Tunique de glace tant le livre est riche d’événements et de péripéties. Les sagas se succèdent (et, seul petit bémol : elles sont parfois un peu longues). Chacune pourrait être un mini roman en elle-même. Mais Vollmann sait aussi prendre le temps de s’arrêter, de se poser et de regarder autour de lui les paysages arctiques. Et c’est là que tout son génie littéraire explose. Le voilà capable d’écrire une trentaine de pages où il ne se passe quasiment rien sinon une femme qui marche dans une nature enneigée. Mais alors, quelle puissance de la langue ! Précision, évocation, sens de la poésie et de la dramaturgie viennent sublimer le propos.
« Le paysage s’enroulait autour des vaisseaux. Des arbres d’un vert foncé lui poussaient au bout des doigts. Ils pénétrèrent dans un lagon à fleur de terre, dont les ondulations étaient comme mille sourires. Chaude et bleue, l’eau ensoleillée s’y écoulait paisiblement. De l’autre côté de l’estuaire, un pré verdoyant et doré s’étendait sur les rondeurs d’une colline jusqu’à la lisière d’une forêt de persistants. On n’entendait pour toute musique que les trilles des oiseaux des aulnes. Des aigles noirs battaient lentement des ailes dans l’air, et la lumière du soleil paraissait liquide tout autour d’eux, si bien qu’eux-mêmes ressemblaient à des caillots de sang gélatineux plongés dans l’eau ».
Yann Suty
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