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La Troisième Main, Des techniques matérielles aux technologies intellectuelles, Michel Guérin (par Pierre Windecker)

Ecrit par Pierre Windecker le 05.01.22 dans La Une CED, Actes Sud, Les Chroniques, Les Livres, Essais

La Troisième Main, Des techniques matérielles aux technologies intellectuelles, Michel Guérin, Actes-Sud, octobre 2021, 224 pages, 23 €

La Troisième Main, Des techniques matérielles aux technologies intellectuelles, Michel Guérin (par Pierre Windecker)

Disons-le tout de suite. A mesure qu’on avance dans la lecture de La Troisième Main, un sentiment s’installe et gagne peu à peu la force de l’évidence : voilà un livre qui fraye un chemin qui n’est pas encore relevé sur les cartes de l’anthropologie. Il ouvre dans l’enquête sur l’humain un nouvel espace de compréhension et de recherche, qui permet de se repérer tout autrement dans la traversée de champs qui ont été déjà parcourus longuement et en tous sens, parce qu’ils contiennent les enjeux les plus critiques du développement humain : le devenir historique du travail et de la technique, celui de l’écriture – depuis celle des langues dites « naturelles » jusqu’à celle des codes cybernétiques –, celui de l’économie productive et de l’antagonisme social qui ne manque jamais de l’accompagner.

Mais un chemin nouveau n’est pas un chemin surgi de nulle part : il suppose au contraire de solides camps de base à l’arrière. Il y en a ici de deux sortes, ceux que Michel Guérin a dressés lui-même dans des travaux antérieurs, notamment dans Philosophie du Geste, et ceux qui ont été édifiés et laissés en héritage dans le champ de l’anthropologie par d’autres chercheurs, parmi lesquels une place à part doit être réservée au préhistorien André Leroi-Gourhan.

Pour témoigner du relais qui s’opère entre les deux, il y a le livre consacré par Michel Guérin à Leroi-Gourhan, qui apporte la preuve de ce dialogue ancien et serré entretenu avec son œuvre (1).

L’incipit de La Troisième Main affirme que « ce livre peut être regardé comme la suite de Philosophie du geste » (2) (p.9). Philosophie du geste distinguait quatre gestes fondamentaux : travailler, donner, écrire, danser. Ils forment une véritable « gestique transcendantale », en ce sens qu’ils contiennent la possibilité et amorcent le sens de tous les autres.

« Cette vigueur transcendantale des quatre gestes ne tient pas (c’est la différence avec le transcendantal kantien qui inspire l’analogie) aux structures de notre esprit (das Gemüt), mais à des potentialités qui, inscrites dans la physiologie humaine, l’orientent et la poussent à tester et bientôt à roder un certain nombre de dispositifs impliquant le corps et ses relations avec le milieu extérieur » (p.160)

Ces quatre gestes se trouvent ainsi « à la source des principaux territoires de l’anthropologie » (p.9) : la technique et le travail, le don et l’échange, l’archivage et la codification, l’esthétique. C’est donc à ce quadriparti que La Troisième Main adjoint un cinquième geste, qui ne vient pas combler un vide quelconque dans une série qui est déjà complète, mais qui nous fait changer radicalement de plan : il s’agit du geste de poser. On peut et on doit le résumer dans ce verbe unique, mais pour en saisir toute la portée, il faut l’étendre à ceux de tenir et de placer. Il faut aussi entendre en chacun des trois toute la richesse de sa déclinaison : déposer, laisser reposer, transposer ; retenir, maintenir, détenir ; déplacer, remplacer, etc. Qu’a donc d’essentiellement différent de tous les autres, ce geste de poser (tenir, placer) ? La première réponse qui s’impose, c’est qu’il exige dans son principe même une troisième main – même s’il peut arriver que l’une des deux premières s’efforce de pallier son absence ou, à l’inverse, qu’on doive un jour la compter par dizaines ou par milliers.

Tout part du fait que cette Troisième Main (3) vient à manquer au bimane que nous sommes. Pour un être que le développement de son cerveau rend peu à peu capable d’éprouver le manque, de s’éveiller obscurément au désir et à l’intelligence, deux mains ne peuvent indéfiniment suffire. En effet, si l’on suit au plus près le schéma contraignant dégagé par Leroi-Gourhan, l’une est déjà toute occupée à un geste de préhension, l’autre à un geste de percussion. Quand les deux opèrent sur une partie seulement de l’objet ouvré, il faut bien une troisième main pour maintenir l’objet tout entier à sa place et dans sa position. Mais le geste de poser et la fonction de la Troisième Main ne se bornent pas à cela. En plus de combler les intervalles de l’espace, il faut combler aussi ceux du temps : il faut déposer, remiser les objets dans les intervalles du processus de travail. Il est aisé de voir que c’est une tâche également dévolue à la « Troisième Main » – même s’il arrive souvent qu’elle soit l’œuvre des deux autres. La main qui met en réserve les objets est toujours déjà une main tierce, parce qu’elle suppose que le geste industrieux des deux premières se mette en réserve lui aussi, qu’il ait été suspendu. Cette main n’a donc plus rien de ces mains purement agentes, pour lesquelles l’acte et le geste se confondaient encore entièrement. Elle est au contraire semblable à celle qui s’employait à maintenir l’objet simplement pour qu’il ne bouge pas : elle aussi n’est agente qu’autant qu’elle sait se faire patiente. Dès l’abord, la Troisième Main est celle qui exprime et assume le fait que l’action pâtit de l’espace et du temps. On verra plus loin comment, par la technique, l’économie ou l’écriture, elle apprendra en retour à les faire agir (en particulier le temps), comment elle intégrera la passivité des outils entreposés, des machines alignées à la chaîne ou des appareils disposés en réseau, celle de l’argent déposé et investi, celle des consignes et des plans, puis des données et des algorithmes enregistrés sur différents supports, à une action dont les limites paraîtront vite impossibles à définir.

Mais n’allons pas trop vite. Ce qui est clair pour l’instant, c’est que geste de la Troisième Main, le geste de poser-tenir-placer, ne peut être aperçu qu’« en modifiant, sur la technique, les schémas hérités d’André Leroi-Gourhan » (p.9). Et qu’il ne peut pas venir se ranger tranquillement aux côtés des quatre gestes auxquels a été reconnue la valeur transcendantale. C’est un geste qui se sait distinct de l’acte, subordonné à celui-ci : c’est un geste réfléchi. Pour le désigner, Michel Guérin propose le terme conceptuel de « geste acté » qu’il définit ainsi :

« Je propose de nommer gestes actés des gestes qui ont pour caractéristique de marquer particulièrement leur baptême d’existence et leur insertion dans le temps et dans un espace commun à l’opérateur et à la matière transformée » (p.60).

Avec la Troisième Main, on voit en effet se lever au sein de la vie animale, pour se distinguer d’elle sans jamais pouvoir s’en séparer complètement, l’altérité (puisque cette main est celle du deuxième homme, ou d’un homme capable de se dédoubler lui-même selon les phases de son activité) et, avec elle, un espace commun désormais extériorisé (puisque cette main détache l’objet de l’immanence et de la continuité du geste), enfin un temps extériorisé (puisque cette main compte déjà avec le temps – avant d’apprendre un jour à compter aussi sur lui). La Troisième Main ne vient donc pas compléter seulement un dispositif physiologique qui serait déficient – aucun ne peut jamais apparaître tel par lui-même. Son intervention consiste à le supplémenter : elle s’y adjoint, comme si elle venait de l’extérieur, pour suppléer un élément dont le « manque » éprouvé suppose une opération négative qu’on ne peut attribuer qu’à ce qu’on appelle un esprit. La Troisième Main est, si l’on veut, celle de la « perfectibilité » de Rousseau (on verra qu’elle en comporte aussi toute l’ambivalence). C’est la main proprement humaine : celle qui fait venir au jour l’être-au-monde, l’existence, tout ensemble individuelle et sociale.

C’est pourquoi, sur le plan théorique aussi, cette Troisième Main représente l’ajout qui était indispensable pour mener au bout la tâche fixée dès la Philosophie du geste et dont le projet initial est redevable à Leroi-Gourhan : chercher les soubassements de la culture en-deçà de tout symbolisme, dans la gestualité physiologique qui a dû se déployer dès des premiers hominidés, ou même homininés. On pourrait croire que ce programme transgresse un interdit majeur, celui qui, depuis le « structuralisme », était censé frapper toute recherche d’une prétendue « origine ». Mais la seule chose qui ait jamais été interdite, c’est d’essayer de gommer au nom d’une introuvable continuité ou, à l’inverse, de vouloir ramener à un prétendu point de départ absolu (deux impasses dont la symétrie est frappante) l’événement-avènement par lequel se fait jour peu à peu le pouvoir de symboliser qui conditionne la culture et dont le langage est la forme achevée. Mais s’il s’agit seulement de dégager les conditions qui sont nécessaires aux premières manifestations de cet événement (et dont les prolongements le resteront au cours de ses développements ultérieurs), c’est au contraire, à l’évidence, un devoir pour l’anthropologie que de se pencher sur cette question. Elle peut bien demeurer sans fond (puisqu’il n’y a ni continuité univoque avec un « avant », ni point zéro qui consacrerait la rupture), cela ne la condamne pas à rester totalement insoluble. Pour parler le langage d’Aristote, auquel Michel Guérin se réfère en plusieurs occasions, la tâche revient à chercher, en deçà de la « cause formelle » ou « essentielle » de la culture (le symbolisme, dans son autonomie et sa capacité d’autoproduction), ce que peut bien être la « cause matérielle » capable d’abriter cette forme en puissance et, bien sûr, d’en orienter constamment l’actualisation (ce en quoi elle s’avère aussi un peu « cause motrice », évitant par là même au symbolisme et à la culture de se prendre un peu trop pour « cause finale »). Ce commencement du symbolisme dans le gestuel, c’est ce que permet de saisir l’entrée en scène du « geste acté », dont Michel Guérin écrit précisément que « c’est une puissance prise sur le vif de son actualisation » (p.59). L’enjeu apparaît dans toute son importance quand l’auteur essaie, dans la suite du livre, de dégager pas à pas les conséquences anthropologiques les plus lointaines que peut porter en lui le geste de poser.

On hésite à en dire plus. Prétend-on guider la lectrice, le lecteur en les prenant par la main ? On se contentera donc d’indiquer ce qui peut aider à saisir la nouveauté de ces recherches, en même temps que leurs filiations solides (forcément parricides, mais toujours à reculons et dans la juste limite) dans le champ de l’anthropologie.

Le sous-titre Des techniques matérielles aux technologies intellectuelles désigne les deux objets principaux de l’enquête. Surtout, il fixe une tâche, qui est de chercher à comprendre la transition qui entraîne l’un vers l’autre. A l’horizon, il invite à méditer les enjeux de toute cette histoire, tels qu’ils peuvent du moins nous apparaître aujourd’hui.

L’enquête porte d’abord sur la manière dont la Troisième Main se trouve au principe d’une double extériorisation progressive : celle des fonctions mécaniques du corps par les techniques (exosomatisation) et celle des fonctions du langage par les différentes sortes d’écriture (exologicisation). Il reste alors à comprendre l’essentiel : comment la conjonction finit par se produire entre les deux.

L’axe du développement technique nous conduit des instruments de calage des objets, qui viennent en quelque sorte suppléer une main déjà supplémentaire, à la machine qui, elle, ne tarde pas à prendre également sur elle l’ouvrage des deux premières, réduites à la fonction de la servir. Ainsi, la technique se développe toujours en s’analysant elle-même : en décomposant, transposant et recomposant ses propres opérations. Mais leur synthèse est toujours sociale. D’où la nécessité de s’expliquer avec Marx, à propos de la relation entre forces productives, rapports de production et modes de production. Et, au moins autant, avec Rousseau : celui-ci n’avait-il pas cru voir dans l’« indépendance » de l’homme la seule garantie possible de sa liberté ? Et ne lui avait-il pas donné précisément pour borne infranchissable celle des « ouvrages qu’un seul pouvait faire », des « arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains » (Discours sur l’origine de l’inégalité, cité p.77) ? Par rapport à ces antécédents, ce que la Troisième Main apporte de radicalement nouveau, c’est l’idée que « avant même les formes prémodernes d’extorsion et d’exploitation de la majorité des hommes par une minorité », « il y aurait, plus profondément (…) l’intuition par cette dernière de la rente qui se dépose presque automatiquement dans les gestes de tenir, placer, poser pourvu qu’on bâtisse la stratégie d’obtention et de disposition, de rétention de cette richesse flairée qui ne reste jamais longtemps virtuelle ». On peut ainsi faire « l’hypothèse » que « la question de l’inégalité (pour parler comme Rousseau) ou de l’extorsion (pour dire avec Marx) se noue dans la gestualité technique même en tant qu’elle “supplémente” les percussions par les positions » (p.117).

L’exploration du second axe, celui du destin de l’écriture, suppose qu’un « lien généalogique » entre le geste de faire et celui d’écrire ait été d’abord aperçu – Michel Guérin affirmant que dans Philosophie du geste il lui « avait pour l’essentiel échappé » (p.9) :

« En extrapolant sans doute excessivement, on serait tenté d’affirmer que l’habitus du poser s’est rodé sur le terrain des techniques, mais qu’il n’a livré l’étendue de son génie que dans le conatus scripturaire. (…) Il a fallu apprendre longtemps à poser l’outil (pour le mieux reprendre) afin que fasse son chemin le soupçon que poser tout court puisse avoir un destin » (p.155).

Dans l’écriture, c’est en effet le dépôt de la marque qui commande à la frappe. C’est ce qu’on doit laisser qui ordonne ce qu’on doit faire. L’écriture est donc d’emblée un geste retourné, renversé. Mais on doit prendre aujourd’hui la mesure d’une réalité qui est en train d’émerger. On assiste, depuis quelques décennies seulement, à une nouvelle volte : l’écriture parvenue au stade des algorithmes et de la technologie cybernétique tend à acquérir le pouvoir d’ordonner, en aval d’elle cette fois, et sans le besoin d’un interprète humain, la part la plus essentielle de toutes les techniques. Parmi les avant-postes (mais il y en a d’autres), on sait qu’il y a cet art des positions qui consiste à placer de l’argent et à déplacer des titres, l’« industrie financière ».

Le destin de l’écriture, la différence radicale qui existe entre l’écriture des langues et celle des nombres et des codes, la convergence progressive entre l’exosomatisation et l’exologicisation qui se réalise dans le couplage entre les appareils et les codes ou les algorithmes, tout cela forme ensemble un des objets principaux d’analyse de La Troisième Main. On n’en dira pas plus.

Mais, on le pressent déjà et les exemples l’annoncent assez, l’enjeu qui recoupe tous les champs anthropologiques explorés dans le livre, c’est l’ambiguïté ou, mieux, l’ambivalence intrinsèque – par conséquent fatale, « traitable » toujours, si l’on y met la lucidité et le courage, mais non rachetable par l’action – de la Troisième Main. La Troisième Main est ensemble main de Dieu et main du diable. D’un côté elle conditionne l’essor de la culture qui, dans toutes ses dimensions (technique, épistémique, esthétique, etc.), requiert un dépôt volontaire, condition de toute création. Mais d’un autre, par l’art, si nécessaire, de rendre ses dépôts de moyens de produire, de produits échangeables, d’argent, etc. eux-mêmes actifs et productifs, elle n’a jamais manqué de susciter des formes d’asservissement ici, là d’aliénation, généralement d’extorsion, ni de reconduire l’antagonisme social qui en est inséparable. D’un autre côté enfin, son office de suppléance de l’activité humaine (exosomatisation et exologicisation), qui n’a cessé de croître, est en train de franchir un saut et de changer de nature avec le couplage de l’I.A. et des appareils technologiques. Bien sûr, ce dernier bouleversement ne nous expose pas à la menace, purement fantasmée, d’être un jour « gouvernés par des machines ». Mais il nous expose très réellement à celle de « perdre la main », c’est-à-dire aussi d’oublier l’esprit, pour peu que nous cédions à la tentation de les remplacer tous deux, de plus en plus, par des mains liées aux algorithmes, aussi invisibles que celle du marché, promptes à nous apprendre et à nous procurer ce qui est bon pour nous.

L’épilogue de La Troisième Main entend acter la gravité et l’urgence de cette dernière menace. Il établit ainsi un pont entre l’investigation anthropologique et un programme pratique qui est d’abord un éloge de la finitude humaine. S’il est court dans sa formule (il ne s’agit pas de donner des directives, mais de fixer des orientations), il est d’intention longue, puisqu’il suppose sans aucun doute qu’on ait d’abord essayé de « (lancer) une corde sans fin pour faire remonter le secret de notre avenir bien incertain, tel qu’il est peut-être enfermé dans le puits sans fond du passé paléontologique » (4).

 

J’ajouterai seulement un mot pour conclure un peu au-delà (et, en même temps, au foyer même) de ce livre. Sauf quand il ne s’agissait encore que de compter nos mains sur les doigts, j’ai toujours affecté la troisième de majuscules. La raison en est que la Troisième Main correspond exactement à ce que Michel Guérin appelle une Figure, dont, en reconnaissance de dette à Rilke, il écrit toujours les initiales en majuscules, conformément à l’usage de l’allemand.

Qu’est-ce qu’une Figure ? Voyons-le par le livre. La Troisième Main, c’est assez clair, ne permet pas de désigner quelque chose qui serait en un sens univoque « la cause » du développement anthropologique : le cerveau, ou le symbolisme – le choix dépendant du plan sur lequel on se place – feraient plus facilement l’affaire. Sans lui être aucunement étrangère, la Troisième Main n’est donc pas un concept qui relèverait seulement et tout-à-fait directement d’un savoir positif. Mais elle se réduit encore moins à ce qu’on appelle couramment un « symbole », c’est-à-dire une désignation qui repose sur l’élection, en partie arbitraire mais puissamment suggestive, d’un trait de ressemblance permettant de rassembler des réalités diverses sous une métaphore commune. La Troisième Main nomme plutôt la pensée même qui est à l’œuvre dans le livre éponyme quand il retraverse le champ entier de l’anthropologie. Plus qu’un « simple » concept, elle condense en elle le choc du réel qui est toujours la passion de la pensée. Mais à la différence d’un « simple » symbole, elle possède toute la plasticité nécessaire pour produire des concepts nouveaux (comme celui de « geste acté », ou ceux d’« hypothèse » et d’« hypothèque » qu’on découvrira dans le livre). C’est cela que Michel Guérin nomme une Figure, et qu’il met au principe de son propre travail parce qu’il le voit déjà à l’œuvre dans l’ensemble de la philosophie. Comme si elle décollait à peine de l’immanence du geste, la Figure peut toujours apparaître à la fois, ou tour à tour, comme le « sujet » qui pense (le cogitans) et comme l’« objet » qui est pensé (le cogitatum). Quand on referme La Troisième Main, on a le sentiment de mieux comprendre en quoi la Figure peut être tenue pour la forme adéquate que se donne le geste de penser (5).

 

Pierre Windecker

 

(1) La deuxième partie de ma chronique consacrée à la pensée de Michel Guérin dans La Cause littéraire se terminait par un commentaire de ce livre, qui a pour titre André Leroi-Gourhan, L’évolution ou la liberté contrainte (éd. Hermann, 2019).

(2) On doit être rassuré sur ce point : il n’en présuppose pas la lecture, le propos du livre qui précède étant toujours résumé dans celui qui suit dès que cela paraît nécessaire.

(3) La justification des majuscules dans la plupart des occurrences sera donnée à la fin.

(4) Je choisis de détourner une phrase, tirée de la préface à la réédition de La Civilisation du renne (éd. Les Belles Lettres, 2019, p.XXXI), par laquelle Michel Guérin essayait de définir l’effort déployé par Leroi-Gourhan dans Le Geste et la Parole.

(5) Soit dit à cette occasion : Michel Guérin a pu se sentir et se percevoir à certains moments (déjà anciens) de sa vie presque comme « philosophe-artisan », occupé autant à la menuiserie et à la maçonnerie qu’à la lecture et à l’écriture, et autant pour le plaisir et la culture du geste matériel que pour son utilité. L’expérience du geste de travailler, de façonner la matière peut bien donner à penser sur le geste et instruire le geste de penser.

 

Michel Guérin, philosophe, est professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France. Ses recherches portent principalement sur la Figure et sur le geste, et concernent des champs aussi variés que la métaphysique, l’anthropologie, la littérature, les arts plastiques et la peinture. Parmi ses œuvres publiées chez Actes-Sud, on peut relever : La Terreur et la Pitié, I, La Terreur (1990), L’Affectivité de la pensée (1993), La Pitié (2000), Philosophie du geste (édition augmentée, 2011).

 

Pierre Windecker, Professeur agrégé de philosophie. A toujours enseigné en classes terminales et été associé par ailleurs à diverses activités de formation des professeurs dans la discipline. Comme retraité, a animé deux séminaires extérieurs au Collège International de Philosophie.

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