La Tresse, Laetitia Colombani (par Philippe Leuckx)
La Tresse, Laetitia Colombani, 240 pages, 7,40 €
Edition: Le Livre de Poche
Un premier livre pour cette réalisatrice et scénariste française. Une découverte donc, qui éclaire d’un jour sensible la condition de femmes et de filles aux quatre coins de la planète. Un regard attentif et attentionné sur le sort peu enviable des femmes, à l’heure où l’internet et les réseaux semblent défier les coutumes ancestrales. La jeune romancière a pris le pari de « tresser » trois histoires pour en livrer à la fois l’injustice, la correspondance et le combat contre la bêtise, les traditions mutilantes. Trois univers sont décrits, d’une plume très réaliste, sur un ton empathique qui emporte le lecteur vers des terres étrangères, qui semblent, de loin, si étranges, comme si le temps nous avait déplacés.
On est en Inde avec une Intouchable, Smita, décidée coûte que coûte à libérer sa fille Lalita de tous les jougs. Les Intouchables en Inde sont les réprouvés, les exclus, les ramasseurs de merdes (c’est le « métier » de Smita). Ils ne peuvent ni toucher ni vivre au contact des autres castes. Pour eux, aucune éducation, aucune libération. Les discours de Gandhi en leur faveur n’ont eu aucun résultat. Smita va se battre, ruer dans les brancards, se mettre en danger pour trouver autre chose pour elle, et surtout pour sa fille.
La description de l’Inde ordinaire, sale, soumise aux castes, est éblouissante, et les séquences de trains empruntés tournent au désastre. Rien ne semble inventé tant le réalisme fait vibrer ces pages très documentaires. La même condition emprisonne la Sicilienne Giulia qui désire ardemment sauver l’exploitation, l’atelier de chevaux de son père. Sa famille s’y oppose. Elle va lutter, braver les interdits locaux. Une région d’Europe a parfois des usages bien éloignés des nôtres. L’amour d’un migrant, Kamal, va orienter et aider le travail de Giulia. De belles pages décrivent ces rencontres clandestines, où se dessinent amour, force et sensualité.
Au Canada, si moderniste, Sarah, avocate brillante, va connaître la descente aux enfers, du seul fait de sa maladie. On ne peut plus être performant si le corps est médicalisé. La loi du marché et des grandes entreprises vous exclut d’office. Selon la loi de l’exclusion progressive, Sarah voit sa carrière voler en éclats. Qui peut l’aider ? La solitude paraît la seule ressource.
Une profonde similitude accompagne ces trois récits, mêlés, comme une tresse. Sarah, Smita et Giulia auront, et nous ne dévoilerons pas l’épilogue, des liens indéfectibles. Comme celui de « sœurs » victorieuses.
Et le cœur du lecteur vibre lui aussi, à l’écho de ces tragédies ordinaires.
En plein XXIe siècle, l’avenir de nombreuses femmes est encore périlleux.
La plume, légère, attachante de Colombani dresse des portraits émouvants, sensibles. Elle sait, science du scénario, « tresser » des récits convaincants de sociétés qui empêchent certaines destinées humaines.
Un beau livre, fêté un peu partout.
Un auteur à suivre pour parcourir des terres inconnues.
Philippe Leuckx
Laetitia Colombani, scénariste, réalisatrice et comédienne, est une romancière française. Elle est l’auteur de La Tresse, et Le Cerf-volant, publiés tous deux chez Grasset.
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