La tragédie d'Arthur, Arthur Phillips
La tragédie d’Arthur, traduit de l'anglais (USA) par Bernard Hoepffner, janvier 2013, 617 p. 22 €
Ecrivain(s): Arthur Phillips Edition: Le Cherche-Midi
On sort de la lecture de ce livre avec le sentiment d’avoir passé des heures dans un labyrinthe et de n’être pas sûr du tout d’en être vraiment sorti ! La sortie utilisée est-elle la bonne, la vraie, une illusion ? Car tout ce livre a pour thème le faux. « F for fake » titrait Orson Welles dans le film qu’il dédiait à un grand faussaire pictural, Elmyr. Et ce film avait pour titre français « vérités et mensonges » qui conviendrait fort bien à cette variation sur le thème du faux littéraire.
Pour commencer qui a écrit quoi ? Ce livre est signé bien sûr par Arthur Phillips. Mais pas que. L’autre auteur s’appelle William … Shakespeare. Plus de cent pages placées à la fin du livre sont constituées de la publication d’un inédit du Barde : la tragédie d’Arthur. Vous avez bien lu, un inédit de Shakespeare. D’où vient cet OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) ?
C’est là le propos central de ce livre : Arthur Phillips nous raconte qu’il fut affublé d’un père improbable. Passionné de Shakespeare, il voulut transmettre dès leur enfance sa passion à ses enfants. Et ça marche plutôt bien pour la sœur d’Arthur, Dana, qui devient une fan et une spécialiste du Barde. Moins bien pour Arthur … jugez-en :
« Je n’ai jamais beaucoup aimé Shakespeare. Je trouve les pièces plus agréables à lire qu’à regarder, mais je m’en sortirais très bien sans lui. Je sais que ce n’est pas un aveu très littéraire ou érudit, mais c’est comme ça. Je me demande s’il n’existe pas une importante population de lecteurs timides et de bon goût qui sont secrètement d’accord avec moi. »
Hors sa passion pour Shakespeare, ce père est un vaste escroc, faussaire en tout genre, plutôt talentueux mais fort maladroit et sans cesse pris la main dans le sac, donc qui passe le plus clair (si l’on peut dire !) de son temps en prison. Arthur est plein de souvenirs de ses visites au parloir. Et c’est ce père – plutôt peu fiable – qui laisse en héritage à ses enfants, mais surtout à son fils écrivain, un manuscrit inédit (et inconnu) du Barde. Avec pour mission confiée au fils de le publier, avec une « introduction » pour expliquer l’histoire de ce manuscrit, de sa découverte et de son destin.
« Tu publieras « la tragédie d’Arthur ». Oui tu le feras. Ne parle pas. Ecoute. (…) Et tu vas publier notre histoire, mais surtout ton histoire. Tu diras la vérité. Pour une fois dans ta vie tu écriras un texte qui n’est pas de la fiction, et tu en apprendras les leçons en public (…) Parce que, en y joignant une pièce de Shakespeare, tout le monde va lire ce texte. »
On comprend alors que cette « mission » c’est le livre qu’on a dans les mains ! L’histoire du manuscrit et à la fin sa publication !
Random House (la maison d’édition d’Arthur Phillips aux USA) veut absolument publier ce manuscrit. Bien sûr, ils ont lancé une volée d’avocats, d’universitaires, de spécialistes en tout genre de Shakespeare dans une longue expertise systématique, minutieuse, chirurgicale du manuscrit. Conclusion de tous les experts, les plus grands « bardistes » de la planète unanimes : il n’y a aucun doute, ce manuscrit est bien de la main de Shakespeare ! Vous imaginez l’aubaine éditoriale !
A nous lecteurs de jouer. Ce livre est diabolique. Si vous lisez soigneusement la pièce inédite de William Shakespeare, sans être un « bardiste » éminent, il peut être évident que cette œuvre est bien de Shakespeare. Oui mais elle est où ? Rien sur google, rien dans les revues littéraires, rien de l’explosion attendue devant un tel événement ?
Avec une maestria époustouflante Arthur Phillips nous emmène, fascinés, sur le labyrinthe qu’il construit. Vérité ou mensonge ? Il nous emmène aussi, et surtout, dans une histoire familiale où les personnages sont d’une densité inoubliable. Son histoire familiale ? Vérité ou mensonge ?
Qu’avons-nous lu ? Un beau roman d’Arthur Phillips et une somptueuse dernière pièce inédite de William Shakespeare – enfin peut-être.
A ce prix, qui s’en priverait ?
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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