La tante d’Amérique, Leonardo Sciascia
La tante d’Amérique. Traduit de l'italien par Mario Fusco mars 2014. 85 p. 2€
Ecrivain(s): Leonardo Sciascia Edition: Folio (Gallimard)
Avertissement au lecteur : ce tout petit livre est un pur moment littéraire ! Tout l’art de Leonardo Sciascia se retrouve condensé dans ce court récit de l’arrivée des troupes américaines dans un petit village italien. C’est à la fois un exemple limpide de l’écriture fluide et lumineuse de Sciascia – celle qui nous éblouissait dans le conseil d’Egypte ou Le Contexte – et un morceau savoureux de comédie italienne à la Vittorio de Sica ou Mario Monicelli, avec ses personnages déjantés, immoraux, bruyants, hypocrites, lâches et, finalement, furieusement attachants.
A commencer par le jeune narrateur, gamin type des rues villageoises du sud de l’Italie : dégourdi, un peu voyou, malin, qui adore repérer les imbéciles et les harceler. Sa rencontre avec les Gis est un vrai choc de civilisations !
« - Moi aussi j’habite à Brucchilin, dit l’Américain ? C’est grand, Brucchilin.
- C’est grand comment ? Demandai-je, comme ce bourg ?
Je savais bien que c’était aussi grand que ce bourg, et Canicatti et Agrigente réunis, et peut-être davantage et que c’était un seul quartier de New York ; mais je ne voulais pas laisser tomber la conversation.
Il dit : plus grand, plus grand »
C’est l’humanité que Sciascia traque dans ses propres souvenirs d’enfance. L’humanité qui jamais ne se révèle tant qu’en des périodes terribles où chacun, chacune, est confrontée de plein fouet à ses valeurs réelles, à ses grandeurs et ses faiblesses, à sa peur fondatrice ou son courage.
La tante d’Amérique est celle qui a fait fortune à New York, l’inévitable mamma de Brooklyn (« Brucchilin » !) – il y en a au moins une alors dans chaque famille italienne - qui revient quelque temps dans son village natal à l’occasion de la Libération, qui distribue des dollars, des fariboles en plastique, des « cendi » (candies) et des « ciunga » (chewing-gums), bien plus pour flatter son ego que par générosité. Personnage droit sorti de la littérature baroque latino-américaine.
Il s’amuse, notre gamin, entre les soldats d’Amérique qui le gavent de confiseries, sa tante qui en remet encore, et – ce n’est pas rien – sa jeune cousine venue elle aussi de New York, plus âgée que lui mais tellement délicieuse qu’il va en découvrir les frissons du désir.
« Mais quand ma cousine arrivait, je cessais de lire ou de chercher, elle s’asseyait sur une caisse, et se mettait à me raconter des choses sur l’Amérique. Elle buvait de petites gorgées à la bouteille et racontait. Puis elle m’attirait contre elle et se mettait à rire, mes mains, qui semblaient devenir des mains d’aveugle, devenaient chaque jour plus conscientes et plus curieuses ; et, entre mes mains, sous sa robe légère, son corps était souple comme une musique. »
Un délice de nouvelle du grand Leonardo Sciascia !
Leon-Marc Levy
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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