La Styx Croisières Cie - Février 2020 (par Michel Host)
Ère Vincent Lambert, An II
Humain, citoyen le plus vulnérable, la République française, la médecine, la banque et la magistrature réunies, t’ayant baptisé Légume, te tueront.
« Le fanatique, lui, est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran ou martyr, c’est un monstre. Point d’êtres plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une croyance : les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n’a pas coupé la tête » (E. M. Cioran, Précis de décomposition, Généalogie du fanatisme).
Lµ-1. Nous connaissons bien cela, nous l’avons expérimenté autrefois, nous le vivons maintenant presque chaque jour. Nous en mourrons. Nous en crèverons parce que l’exemple horrible et absurde finit toujours par l’emporter. Il conduit au pourrissement du fruit par l’intérieur. C’est d’abord invisible, puis la poire s’effondre sur elle-même laissant s’écouler sa chair blanche en un sirop immonde. C’est trop tard, il faut la jeter aux ordures.
µ-2. Je critique, certes, je ne suis pas drôle pour le repos des esprits enclins au repos, et c’est pour cela qu’on ne me fera pas dire que nous vivons dans un État dictatorial policier, précisément parce que nul ne m’empêche de critiquer l’État et les larbins mangeant à son râtelier, prêts à le trahir à tout moment, nul ne me défend non plus de m’en plaindre chaque matin, de le vilipender chaque soir.
µ-3. Détails, anecdotes, brimborions et faits divers
– On expulse un amateur de très jeunes filles (Gabriel Matzneff) de chez ses éditeurs, de tous les organes de presse, de toute mémoire contemporaine… On en intronise un autre (Frédéric Mitterrand) sous la coupole de l’Académie des beaux-arts, on le munit d’une épée – folle imprudence ! Il est capable de se blesser ! –, amateur en son temps de petits garçons prostitués de l’Asie… Il est vrai que le premier n’a pas lâché un mot de repentance, n’ayant pas conscience d’avoir jamais outrepassé les droits de l’homme. Il est aussi vrai que le second s’est repenti publiquement dans l’un ses ouvrages, et qu’il fut ministre, portant le saint nom d’un président célèbre… Deux poids deux mesures néanmoins ? Il semble bien. Si – que Dieu m’en garde ! – l’on me faisait magistrat, je punirais ces messieurs en les contraignant à des relations adultes, avec des partenaires adultes.
– Brexit ? Les Anglais quittent l’Europe des nations désunies… Et alors ? Ils n’y ont jamais dansé que sur un seul pied, le pied-de-nez. Ils détestaient que des technocrates non élus, campés sur la lune bruxelloise, leur dictent règlements et ordonnances. Ils faisaient tout pour empêtrer ce monstre paperassier, ce supermarché gigantesque dont ils ne pouvaient commander les bonds et soubresauts. Dans l’intention ils avaient cent fois raison. Leur tort aura été d’échouer.
– La jeune lycéenne Mila, en butte aux avances intempestives d’un jeune musulman, a eu le courage de dénoncer la religion du prophète comme porteuse de haine, quoique en termes peu mesurés il faut l’avouer. Elle est depuis lors menacée de viol et de mort par égorgement et a été contrainte de changer de lycée, de quitter les siens en quelque sorte. L’amour dont les croyants prétendent imprégner le Coran, c’est exactement son contraire : l’assassinat. Ces croyants prennent toute critique de leur religion pour un blasphème (« parole qui outrage la divinité »). Mais ce n’était qu’une insulte, une opinion : si Allah et son prophète en souffrent, c’est qu’ils sont d’une grande fragilité. Bancroches. Stropiats. Littéralement, ils ne tiennent pas debout. Mais encore, si l’État français est dans l’obligation de retirer Mila de son lycée, de la transplanter dans un autre établissement, le CNED peut-être, lieu tenu secret (en l’occurrence, il fait bien !), c’est aussi qu’il ne peut la protéger chez elle. J’y vois notre soumission à l’islam et à sa violence imbécile, notre faiblesse, notre lâcheté, notre reddition. L’incertitude enfin quant à notre laïcité et à l’enseignement de notre culture. Retraite en désordre. Bientôt capitulation ? Bientôt une France-Allah-ou-akhbar ?
– Je ne puis m’ôter de la tête cette mère que l’on a jugée psychologiquement fragile et qui, à Angers, vient d’étouffer sa fillette âgée d’un an, avant d’abandonner le petit corps dans une armoire à recueillir les vêtements usagés ou non utilisés, ni non plus la seule explication humaine qui me vienne à la pensée avant de sombrer dans le désespoir. N’aurait-elle pas eu dans son esprit forcément martyrisé, livré à la folie de ce monde, quelque pensée comme : « Ma petite fille, je vais commettre sur toi le seul acte qui me soit possible, t’épargner cette vie de m… » ; peut-être aussi, comme dans un récent roman (Mátate, amor) de l’argentine Ariana Harwicz : Crève, mon amour.
– Benjamin Griveaux. Ce vendredi 14 février, la France est réveillée par les hauts cris de la classe médiatico-politique qui exerce ses suggestions sur le pays. C’est une bombe ! Un coup de Trafalgar ! Benjamin Griveaux, insupportable jeune membre du gouvernement, candidat prétentieux à la mairie de Paris, à la tête d’une liste LREM composée de plus de cent partisans, renonce à présenter sa candidature devant les électeurs. Pourquoi ? Le mirliflore, quoique marié et se donnant pour bon père de famille, a commis l’imprudence de se filmer, semble-t-il, dans son état de nature et maniant son membre viril, tout en bavardant avec une jeune dame en tenue légère qui ne ressemblait en rien à une épouse pudique et sage. Tout à l’inverse de l’image qu’il souhaite offrir aux électeurs ! S’il eût mieux connu son époque, son temps et ses mœurs, il se fût bien gardé, non seulement d’être le jeune premier de cette saynète divertissante, mais de l’enregistrer sur son smartphone ou autre appareil de ce genre, fabricant ainsi ce que le français d’aujourd’hui nomme une sextape, puis de la laisser traîner jusqu’à ce qu’un hackeur (le nommé Piotr Pavlenski, artiste russe célèbre pour ses extravagances) s’en empare pour la laisser se répandre sur les réseaux sociaux de la terre entière. C’est désormais le désastre, notamment pour l’homme politique, mais surtout pour son épouse et ses deux enfants que tout le monde plaint en silence. C’est la réputation entachée et détruite. À quoi pensait ou ne pensait pas Benjamin Griveaux ? Il s’est détruit lui-même avec les siens auprès de ce public des bien-pensants de la gauche, jusqu’ici ses amis et collègues, public grand amateur de transgressions, de libertinage et autres fantaisies qu’il pense audacieuses, mais impitoyable gardien des bonnes mœurs affichées et des pruderies républicaines. Ces bien-pensants l’eussent applaudi il y a seulement dix ans. M. Griveaux n’a pas le sens du temps et des époques. Se retirant de la course électorale de son propre mouvement, l’exhibitionniste fait comme l’aveu de sa culpabilité. De plus, on apprend que la dame réceptrice des affriolantes images était la compagne de Piotr Pavlenski. Les concurrents se tordent de rire et se frottent les mains tout en criant au complot contre la démocratie. Le jeune Griveaux a maintenant tout l’air d’un vieil idiot libidineux issu de la bourgeoisie de droite. Celle de gauche, boursoufflée d’hypocrisies, n’est pas différente, mais pire en ce qu’elle prétend tout savoir et n’avoir tort en quelque matière que ce soit. Le peuple seul, bien que d’ordinaire assez naïf, paraît tenir encore un peu aux antiques vertus.
Apprenant ces nouvelles, comme la plupart des Français, j’ai pensé à la malheureuse famille de l’imprudent, à la stupidité de celui-ci, et me suis demandé s’il possédait la première lettre de l’alphabet des tactiques et stratégies de la politique. Il semble que seul il se soit jeté ans le piège tendu par lui-même et qui l’avale aujourd’hui. Dès l’annonce de cette farce grivoise et gauloise, j’avais imaginé que la peau de banane lui avait été glissée sous le pied par quelque ami politique de son camp. Quoique difficile à croire la chose reste possible. De l’excellent Guignol parisien !
– Les crocodiles. M. Griveaux n’étant plus présentable aux électeurs, c’est Mme Agnès Buzyn, jusque-là ministre de la Santé publique, qui le remplace. M. Olivier Véran, grand soldat inconnu du macronisme, prendra son poste à la Santé. C’est, en fait, un neurologue grenoblois dont la longueur des dents fait l’étonnement de ses collègues. Lors de la passation de fonctions, il délivre à Mme Buzyn un dithyrambe dans lequel il la déclare initiatrice glorieuse de la nouvelle médecine hospitalière du XXIe siècle. La malheureuse fond en larmes lors de ces adieux à son ministère, émouvant le public, les journalistes, les malades, le personnel médical et infirmier, elle pleure, oui, de magnifiques larmes de crocodile : elle sait mieux que personne que, dans le gang dirigeant macronien, soumise aux ordres présidentiels, elle a entamé sans états d’âme la destruction du service public hospitalier. On ne sait qui de la commère ou du compère est l’hypocrite le plus consommé.
Incidemment, on peut affirmer que le président Macron a inventé le remaniement ministériel permanent, la noria des incompétents et des insatisfaits. Nous approchons les douze évacués et remplacés après deux ans de mandat. La majorité présidentielle à la Chambre fond lentement, comme la banquise. Cela est presque indolore. Cela donne le tournis. L’amateurisme le dispute à l’arrivisme et à la tombola.
Lµ-4. Ils ont dit, ils ont écrit…
– Le Fig. Littéraire (6/02/20) nous présente « Les Grandes Dames de l’Intelligence ». Notons qu’elles ne sont que trois : Marguerite Yourcenar, Jacqueline de Romilly, Mona Ozouf. Est-ce à dire que toutes nos petites dames de la vie quotidienne, celles qui marchent dans les rues, peuplent nos appartements, nos maisons, font des enfants, nos épouses, compagnes et maîtresses seraient moins ou pas intelligentes ? On s’exprime avec quelque légèreté au Figaro.
– François Cavanna (décédé en 2014) : « Connais-toi toi-même et aime-toi quand même »
Du même : « Je hais la mort. Je hais ceux qui la donnent. Je hais ceux qui aiment la donner. Je hais ceux qui se font violence et se forcent à la donner au nom d’une cause sainte. Je hais la mort et je hais la souffrance, c’est pas original, j’y peux rien, et la mort des bêtes me fait plus mal encore que celle des mecs, c’est comme ça » (in Les Russkoffs).
Les bon mots.
– Marcel Campion (forain, restaurateur, organisateur de spectacles, candidat à la mairie de Paris), interrogé sur la station Sud-Radio, à propos de la toute récente affaire Benjamin Griveaux (*) : – Alors, Marcel Campion, comment voyez-vous la renonciation de B. Griveaux à sa candidature ? M. Campion : – Un branleur de moins.
(*) Voir ici même, la section µ-3, Divers, anecdotes…
– Albert Einstein : « Si la vue d’un bureau encombré évoque un esprit encombré, alors que penser de celle d’un bureau vide… », cité par Ségolène Barbé, dans un amusant article tendant à démontrer que le désordre plus que l’ordre favorise la liberté, l’inventivité, la créativité. Les « bordéliques » triomphent des maniaques de l’ordre et du ménage (Le Fig. 17/2/2020).
Les mots de l’écrivain, XI
Sédentaire :
J’en suis un. Déterminé. Je hais les avions, bien que m’étant permis cette plaisanterie : « Avion : Machine qui réduit la durée du seul moment agréable du voyage, celui où l’on n’est plus sur terre » (1). Je déteste le tourisme et ai constaté l’impossibilité de voyager à notre époque.
Sexe :
Pour l’écrivain, et pour l’artiste d’une manière générale, le sexe et les désirs qu’il inspire sont une force motrice puissante. Il faut, bien entendu, en maîtriser les pulsions, la violence. Les canaliser dans l’acte d’écrire. Et a minima, dans la tendresse, la gentillesse. Cela exige de bien se connaître, d’avoir pris de son corps la juste mesure. En particulier de ne pas se tromper sur le moment opportun de livrer ce dernier à la page blanche ou aux caresses. Vouloir écrire une scène torride ne suffit pas à ce que le résultat final soit satisfaisant. Il faut d’abord qu’elle soit nécessaire et clairement torride, ce qui n’est pas si facile parce que seul le style l’écartera de la pauvreté banale de la chose. Parfois même, ladite scène s’échappe, s’évapore ou prend d’autres chemins au cours du travail. De même, vouloir intensément unir notre corps à un autre corps ne préjuge en rien des satisfactions ou insatisfactions à venir. Tout est question de délicatesses secrètes et de l’instant, de ce que les Grecs appelaient l’occasion.
J’ignore si la femme qui écrit ou se donne amoureusement éprouve ce genre de mouvements intérieurs. Je n’ose faire une généralité de mon cas, cependant est-il une seule raison pour qu’il ne soit pas partagé, par certains du moins, pour qu’il ne soit pas féminin autant que masculin ?
Revenant sur ma déclaration initiale, il m’a toujours semblé évident que d’écrire des pages érotiques, ou salaces, n’est pas le dernier mot de l’intervention de la pulsion sexuelle en littérature. Le moteur sexuel agit plus profondément, très secrètement et à terme échu ou à terme différé : bien des romanciers ont découvert le pot aux roses (Julien se torturant pour caresser le bras, toucher la chair de Mme de Rénal… La folle explosion verbale et finale de la Molly Bloom de James Joyce…). J’ai souvent observé que dans l’obsession de plus en plus tyrannique d’écrire un roman, une nouvelle, intervient une poussée souterraine, un désir de nature clairement sexuelle que rien n’apaisera que l’écriture du texte, lequel ne traitera pas obligatoirement de problématiques lestes, coquines, érotiques… J’ai toujours accueilli cet appel des profondeurs comme une grâce, un cadeau des dieux, et lui ai répondu en me mettant, à défaut de dame, à ma table de travail. Le désir suscitant le désir, y répondre c’est appeler et faire naître le plaisir.
Shoah :
Son utilisation forcenée au nom du devoir de mémoire, sur toutes sortes d’écrans, et jusque dans certains livres, utilisation parfois rentable, m’est insupportable. Elle contredit et pollue la grande pitié et l’humaine honte qu’éveillent les images, insupportables elles aussi.
Silence :
Le silence, entrecoupé des rumeurs légères de la vie et de la nature, est ce qui convient le mieux lorsque l’on s’assoit pour écrire. Sans obligation ni constance, il peut être soutenu de musiques où perce la mélancolie du temps et des sentiments, la pénombre régnant sous la lumière des arias baroques ne manquant pas d’offrir ce confort de nature bourgeoise, voire aristocratique, j’en conviens.
Les salles de cafés, silencieuses, où l’on pouvait noircir ses pages au coin d’une table, n’existent plus. Le vacarme des écrans y envahit l’espace. Les éviter, à moins que l’on veuille absolument donner à M. Tout-le-Monde, qui s’en moque, l’image de l’écrivain écrivant.
Un autre silence aux formes diverses attend l’écrivain : celui qui accueille son premier livre et aussi les suivants, jusqu’au dernier ; celui, qui pour cent raisons à étudier avec soin, suit un succès de librairie, ou quelque intérêt chez les lecteurs, et puis ne quitte plus l’écrivain jusqu’à ce que le silence de l’urne ou de la tombe mette fin à tous ses questionnements. Il y a enfin ce silence engendré dans l’oreille des vrais amateurs par ces apothéoses obtenues à force de clowneries déshonorantes sur les plateaux de télévision ou par le traitement de sujets dictés par la mode du jour, le souci de la vente, le soin mis à une écriture cochonnée comme le public désire la trouver dans son auge. Cette dernière forme de silence, la plus commune, n’exige pas de l’auteur qu’il s’encombre du moindre doute, de la plus minime angoisse.
Michel Host
(1) In Petit vocabulaire de survie, Éditons Hermann, Littérature, 2012.
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