La Styx Croisières Cie Avril 2020 (par Michel Host)
Ère Vincent Lambert, An II
Humain, citoyen le plus vulnérable, la République française, la médecine, la banque et la magistrature réunies, t’ayant baptisé Légume, te tueront.
Célébrations du Virus couronné
« Atchoum ! Et déjà cela sent le caveau de famille »
(Werner Lambersy, Journal par-dessus bord)
« La maladie est clémente aux bêtes très belles et aux êtres très jeunes, que seuls elle n’enlaidit pas »
(Colette, L’entrave)
« Le Mal, dont la configuration poétique s’appelle le Diable… »
(Balzac, Splendeurs et misères des Courtisanes)
Nouvelles dispositions de la Styx Croisières Cie
Le Lexique de l’écrivain touchant à sa fin, cette chronique mensuelle sera réorganisée ainsi, à partir du mois de mai :
*** Épigraphe et
Lµ-1. son bref commentaire
µ-2. Restes, reliefs et oublies (+ glose éventuelle)
µ-3. Faits et gestes (+ glose éventuelle)
µ-4. Ils ont dit, écrit… (+ glose éventuelle)
Lµ-5. « – Monsieur… – Monsieur… » (dialogue)
Lµ-6. Pensées et divagations
µ-7. Boutades, badineries et gaudrioles
Lµ-8. Le Poème
µ-9. Hic et Nunc. Visions. Réflexions.
Lµ-1. On n’éprouve aucun malin plaisir à célébrer le Coronavirus récemment rebaptisé Covid-19, comme s’il ne s’agissait que d’un dossier prêt à être classé avant son oubli sur quelque étagère poussiéreuse de la grande bibliothèque des malheurs universels. Ce fléau frappe non une région de la planète, mais la planète entière, progressant pas à pas, sûr de lui, inexorable. Les Chinois se sont incliné les premiers puis nous assurent en avoir triomphé, mensonge évident. Il est passé sur l’Europe, gagnant quelques batailles, mais pas encore la guerre. Il a atteint les Amériques et Mister Trump est désarmé. L’Australie, on ne sait pas encore… C’est le Diable, en effet, qui nous renvoie à des milliers d’années d’avant notre ère, aux innombrables épidémies et pandémies qui affligèrent les hommes depuis les temps pré-et protohistoriques, à la période byzantine, à Rome, plusieurs fois et jusqu’aux Antonins, puis à notre moyen-âge, ensuite aux pestes de Marseille et de Lyon… On y vit des jeunes gens agoniser sur les cadavres de leurs parents et voisins. On ne peut concevoir pareilles douleurs. Aujourd’hui, les cadavres de ceux que le virus a étouffés jusque dans les hôpitaux disparaissent de la vue du monde, ils sont répartis (en français de l’ère nouvelle : dispatchés) entre morgues, cimetières et crematoriums, emportés en secret, dans des bolides aux vitres noires, les corbillards new-look,débris honteux de notre humanité impuissante mais toujours incapable de voir la vérité en face. Selon les pensées de certains, masquer la mort, l’éclipser, c’est comme ne plus croire en la vie qui est son lit, sa table naturelle, l’unique et fugitif témoin.
µ-2. Restes, reliefs et oublis
Pierre Lellouche (ex-secrétaire d’État) : « Le gouvernement s’est rendu coupable d’un mensonge d’État affirmant que les masques ne servaient à rien ». « Il y a dans ce pays un universel laisser-faire, un universel laisser-aller », disait encore Clemenceau. « Nous sommes gouvernés par des amateurs. Et malheur au pays dont le prince est un enfant », disait l’Ecclésiaste.
« Ce qui nous arrive n’est pas une crise, mais une catastrophe, c’est une véritable rupture historique ».
« Le contrat social au sein de nos sociétés sera probablement remis en cause. L’exemple du confinement à géométrie variable, le fait qu’il ne soit pas respecté dans les quartiers, va laisser des traces. C’est peut-être la fin de la logorrhée du “vivre ensemble” ».
Glose : Les masques ? Ils ne servent à rien le lundi, car on n’en a pas. Ils sont indispensables le mardi, car le nombre des morts du Coronavirus augmente chaque jour ! Rupture historique : on éloigne nos vieux parents dans des Ehpad, le plus loin possible. On ne parle plus aux agonisants, on ne leur tient plus les mains ! Les morts, on les congèle dans des sacs poubelles. « On les a escamotés : ils avaient fini de servir » observait Antoine de Saint-Exupéry. On se tait, on ferme les yeux sur tout ça ! Rupture de civilisation ! Les « quartiers » ? Euphémisme pour « quartiers de droit musulman » ou quartiers colonisés et de non-droit. La police a la permission de s’y faire très discrète et surtout de n’y arrêter personne au cas où elle parviendrait à y pénétrer. De se taire aussi sur les injures et les projectiles qu’elle doit recevoir avec le sourire… Ne sont-ils pas adorables ces jeunes marchands de drogues, ces désœuvrés qui ont tenu l’école républicaine pour moins que le Coran ? Quant au « vivre ensemble », c’est une fable créée tout exprès pour les douces âmes issues du catholicisme, les esprits socialistes courts et sans vision claire des choses, esprits semeurs de bobards culpabilisateurs, dits « progressistes » et « universalistes ».
Le F./3/III/20
Glose : les masques « ne servaient à rien » parce que nous n’en avions pas. Ou quand la médecine est guidée par les technocrates, les comptables, les fiscalistes… Aujourd’hui, à la mi-avril, nous n’en avons toujours pas, en ayant laissé la fabrication aux Chinois. Si un peu vieux déjà, mais heureusement suivi par l’hôpital Necker et dans l’impossibilité d’acheter un masque, je sais que je suis peu éloigné du déchet humain qu’excrètera bientôt la république, la démocratie financière, le système de Mammon. Portons notre admiration reconnaissante à tous les soignants qui tentent de restituer l’humain dans notre société.
µ-3. Faits et gestes
§. Marseille. Cité de la Castellane. Les habitants de bonne volonté respectent de leur mieux les directives gouvernementales de confinement chez soi. Les petits délinquants et commerçants de stupéfiants qui vivent au dehors en dépit des mesures civiques recommandées, s’adressent aux journalistes-enquêteurs du Figaro : « Le virus c’est une maladie de blancs » (Fig. 2/IV/20, Art. de Patrick Saint-Paul).
Glose : Idée raciste sans doute sortie de la mosquée. Ignorance crasse. La Castellane n’a plus un seul médecin, contre 7 il y a encore quelques années. Sans doute attaqués, rançonnés, volés par les mêmes inassimilés, ont-ils avec raison quitté la « cité ». Il va sans dire que, sous les menaces, les journalistes n’ont pu achever leur reportage.
µ-4. Ils ont dit, écrit…
– Jacques de Saint-Victor (Historien du droit), de l’Italie (plus de 13000 morts à ce jour) : « Le 2 avril, le président du Conseil, Giuseppe Conte, dans un entretien à la télévision allemande destiné directement à Mme Merkel, [déclare] que nous sommes en train d’écrire une page d’histoire et non un manuel d’économie ». « Certains Italiens vont même jusqu’à brûler le drapeau européen. C’est du jamais vu ». « L’Italie a été laissée seule depuis 2011 face aux flux migratoires ». Un ancien ministre, Carlo Calenda, devant le manque de solidarité de l’Allemagne a rappelé, dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, la courte mémoire allemande : « Ils (les Allemands) devraient se rappeler que les pays européens comme la France ou l’Italie ont accepté d’effacer la dette de guerre allemande après 1945… On pourrait dire la même chose de la Première guerre mondiale où les Allemands ont payé moins d’un tiers de ce qu’ils devaient à la France après le moratoire Hoover de 1929 (Figaro, 4-5/IV/2020).
Glose : L’Allemagne, selon moi, par son intransigeance financière, son idéologie affairiste ultra-libérale, a contraint la Grèce et l’Italie à se vendre à La Chine. L’Europe, à terme, et après quelque résistance mimée se changera en cadavre puant – comme les États-Unis et les Pays-Bas. C’est le dernier prix de Mammon. C’est bradé !
– Éric Zemmour, l’un des rares qui, dans les débats publics, laisse aux autres le temps de s’exprimer. Il a écrit (Fig. Mag. 24/IV) : « L’État central a montré une rare impéritie. Un mélange explosif de bureaucratie et de désinvolture. Un État qui depuis des années ne croit plus en lui, qui croit davantage en l’Europe et au marché, qui a désagrégé ses capacités de prévision et d’organisation… ».
Glose : l’explosion est-elle pour l’automne ? L’année 2021 ? Un État qui, de plus, sous la pression de ses financiers et comptables à courte vue, a vendu notre industrie, ses fabrications, ses brevets à la Chine. L’aéroport Charles de Gaulle est actuellement en vente, quoique construit avec les impôts des Français.
– Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre d’État (Le F. /9/IV/20) : Les axes de travail à considérer demain : « le retour de l’État, c’est-à-dire du sens de l’intérêt général, du sens du long terme, le retour du patriotisme et du civisme chez les élites et dans le peuple ». « L’autonomie stratégique de l’Europe ». « Concevoir une grande Europe de l’Atlantique à la Russie ». « Revoir la philosophie de l’Union européenne et du marché unique…
– Glose : Un politique d’authenticité républicaine, qui n’a pas oublié ses convictions et gaullistes et socialistes. Autrement dit, pour nos macroniens purs et mous, les propos d’une vieille barbe, que notre actuel gouvernement de fonctionnaires de la politique dénués de toute vision ne sont prêts ni à écouter ni à entendre.
« L’ironie est l’impolitesse du désespoir » (Emil Cioran).
« En vérité, il faut un peu, entre bons amis, laisser trotter les plumes comme elles veulent : la mienne a toujours la bride sur le cou » (Mme de Sévigné, Lettre du 24/XI/1675, à Grignan, Citée par le Fig. du 17/IV/20).
Lµ-5. Chronique de « – Monsieur… – Monsieur… »
A. « – Monsieur, on ne dira pas que l’État français a jamais manqué d’impéritie, de désinvolture et de bureaucratie !
– Certainement, monsieur, je suis de votre avis, ces belles qualités ne lui ont jamais fait défaut ».
B. « – Monsieur, parmi les délices de la gastronomie française, je me délecte des paupiettes de veau et du gigot d’agneau à la Dunkerquoise.
– J’ai rencontré, monsieur, un transporteur d’animaux. Il m’a dit se refuser au transport des veaux et des agneaux car il les entendait pleurer comme des enfants ! ».
Lµ-6. Pensées et divagations
Pensées, idées, sarcasmes, drôleries… Sur ces notions souvent indifférenciées, rapprochées, voire confondues, je m’arrête un instant. La pensée naît en moi, à l’occasion d’un fait, d’une lecture, d’un spectacle, d’une troisième Guerre Mondiale… Elle m’abandonne aussitôt ou m’accompagne, me suit, ne me lâche plus… Parfois elle s’amplifie, s’approfondit et il se peut que j’éprouve l’envie d’en écrire quelques mots encore. Je la relie à d’autres pensées, à des lectures, à l’une ou l’autre de mes expériences. Bref, elle s’installe et prolifère. Si j’étais philosophe, elles donneraient lieu peut-être à un essai, à un nouveau système… Par bonheur je ne suis pas philosophe, du moins pas à ma connaissance.
L’idée me vient, sans doute à l’occasion de quelque événement dont j’ai ou n’ai pas claire conscience. Elle s’efface très vite ou, au contraire, persiste, m’obsède. Elle se traduit alors (dans la plupart des cas) par une action, anodine ou non, par la mise en œuvre de quelque travail ou d’une réalisation pratique. Étant un être très pratique par ailleurs – on a le droit de se faire valoir ! –, ennemi de l’emploi d’une quelconque domesticité, je suis contraint de faire beaucoup à l’aide de mes mains. Le petits chariots de transport, les diables, les cordons élastiques appelés tendeurs ou sandows, sont mes auxiliaires les plus fidèles dans mes bricolages aventureux. Avoir les doigts occupés, je l’ai observé, apaise l’esprit, favorise la pensée.
Le sarcasme m’est assez naturel, car je ne suis pas toujours bon. Quant à la drôlerie, elle m’est plus difficile. A force d’observer mes contemporains j’ai plutôt appris le rire jaune.
-1- « On n’écrit que conduit par le plaisir, ou la rage. Parfois la rage du plaisir. Parfois le plaisir de la rage » (Maxime Le Bruxellois).
-2- J’entrevois l’horizon des quatre-vingts ans. C’est le moment de ma vie où je pense à organiser quelques pensées. Avant, je m’entraînais, en amateur.
-3- Je voulais parler des musulmans en France, de leur Mein Koran. Mais j’ai déjà abondamment traité de ces gens. Et beaucoup d’autres, leurs idolâtres nombreux en ce pays laïque, sont prêts encore à y voir un attentat de ma façon, une basse vengeance.
-4- L’intelligence artificielle n’a aucune chance de vaincre la bêtise naturelle.
-5- Le critique littéraire : idiot même pas utile.
(à suivre)
µ-7. « Boutades, gaudrioles et badineries », ou les plaisanteries de bon ou de mauvais goût, mais dans le respect de la morphologie et de la syntaxe.
– De Philippe Bouvard, à propos du confinement des parisiens : « le silence est effrayant car il gomme toute trace de vie. Pas question pour autant de vocaliser à tue-tête comme les infortunés Italiens (*). Les fausses-notes de l’exécutif suffisent ».
(*) Les Italiens, tous les soirs de leurs balcons, applaudissent ceux qui les soignent du coronavirus, chantent et jouent d’instruments divers à leur intention.
Glose : les Français ne chantent plus ou chantent en anglais depuis la dernière guerre mondiale. Enfin, j’exagère un peu !
Lµ-8. Le Poème
… face à la mer je continue à guetter les baleines
Ça
Que le dieu pourrait sauver
Sous l’œil éteint des enfants de guerre
aux contorsions de rats
tout soudain je voudrais
que le dieu existe
(Anne Jullien, août 2014, L’envol du bœuf, Jacques André éditeur).
Lexique de l’écrivain-XIV (dernier chapitre de ce Lexique, qui sera remplacé dès ce mois de mai par les « Pensées et divagations »)
Succès
Qu’est-ce que le succès ?
À vue d’époque : une publication remarquée (puis oubliée) ; des chiffres de vente qui étalonnent la valeur littéraire ; des passages (si possible remarqués) sur les écrans, aux micros des antennes radios. On confirmera ces riens qui prennent momentanément l’allure du tout, ou, si vous voulez celle de la réussite, en défendant une grande cause humanitaire, en témoignant d’une grave maladie qui vous mit aux portes de la mort, en reparaissant aux écrans où votre silhouette désormais répertoriée servira de caution, en mettant votre bourgeoise personne en avant lors des manifestations en faveur des opprimés et victimes de toute sorte pour lesquels vous ne faites rien par ailleurs, en publiant une lettre ouverte incendiaire dans Le Monde ; en médisant des tendances politiques qui n’ont pas la faveur des foules ; en prônant quelque indispensable esprit de solidarité sur la place de la République pour, le soir même, vous enfermer dans votre appartement du 8e arrondissement ou de Neuilly, sans plus vous soucier de rien ni de personne, certain d’avoir travaillé à votre promotion morale.
Mes quelques succès n’ont pas été négligeables. Ils sont exclusivement littéraires. Ce ne furent que des succès.
Syntaxe
Les grammairiens semblent partager cet avis : c’est l’art d’assembler les mots en phrases compréhensibles, d’allure naturelle, de sens immédiatement saisissable. C’est le socle, la base sûre. Il faut donc en premier lieu tabler sur elle. Vouloir aller au-delà de ses règles est possible, mais il y faut de l’audace et, certains jours, du génie. L’entreprise, pour ne pas aboutir à l’artifice pur et simple, à de ridicules contorsions verbales, demande à être méditée calibrée, relue dans le courant du discours. Elle demande aussi qu’on connaisse la grammaire, surtout si l’on tient à la violer.
Télévision
Cette machine pourvue d’un écran fut autrefois un medium d’information et de culture que je regardais et écoutais. Il est devenu, au fil du temps, une « boîte à ordures de haute technologie », puis l’outil de la désinformation générale et aujourd’hui celui de la communication d’une agence publicitaire commerciale mondiale. Des divertissements ineptes et/ou d’une totale vulgarité permettent aux aficionados de patienter devant leur écran, puis de s’y changer peu à peu en consommateurs décérébrés.
Je n’y regarde plus que quelques rencontres de rugby, des matchs de football féminin (section de ce sport pas encore gangrenée par l’argent, où l’on joue donc sans brutalités volontaires en évitant d’insulter l’arbitre) et certains programmes archéologiques, artistiques, historiques proposés deux ou trois fois par semaine.
Si l’on doit prendre conscience d’un complot universel de la superclasse marchande et financière contre une humanité différenciée dans ses identités (beaucoup en nient la réalité, ils ont tort je crois), c’est bien devant un écran de télévision. En tant qu’homme équipé d’un cerveau, d’un corps et de tous ses organes, j’ai évité de peu la ruine prématurée de cette admirable machine comme de mon cerveau par le choix rigoureux de programmes regardables.
Travail salarié
[Cf. Vivre d’un…]
Il faut le supporter. Mallarmé s’en accommoda autant qu’il put, il tira même parti de sa situation. Balzac fut une sorte de salarié à son propre compte. Le tout est de n’en pas faire la raison du renoncement. Pour moi, je fus un professeur heureux qui connut de grands bonheurs auprès de ses élèves et étudiants, s’efforçant de leur être source de savoir et de plaisir. J’en fus d’autant plus libre d’écrire. J’ai écrit ce que les circonstances m’ont permis d’écrire. Je ne me plains de rien, ma classe sociale m’ayant mis là où je suis. J’aurais sans doute écrit davantage si je n’avais pas eu à travailler… mais travailler mieux ?… je ne sais…
Toutefois, ceux qui me répugnent sont ces écrivains, médiocres pour la plupart, qui issus de la grande bourgeoisie, rentiers dès le berceau, reçoivent des bourses de l’État, se pavanent sur toutes les scènes, derrière tous les micros, le verbe courtoisement imprégné de morgue, baudruches gonflées de leurs flatulences cérébrales ou de l’air du temps, et sans la moindre attention civile pour qui n’est pas leur semblable.
Valeur littéraire
Faire de la littérature est une chose. En écrire, une autre.
Dans le premier cas, les auteurs sont légions. Les écrivains, c’est une tout autre affaire. Leur rareté fait leur valeur.
La valeur littéraire se mesure à la pertinence du projet, à son traitement et à l’adéquation du style à ce projet. Ils sont peu ceux qui se suffisent à énoncer ce qui leur tient à cœur, puis se taisent ensuite pour ne pas recouvrir leur essentiel de bavardages oiseux.
J’admets qu’un tel sujet mériterait de plus savants développements dont je ne suis pas capable.
Vie personnelle
Il n’est pas interdit d’en avoir une.
La mienne est riche de ses secrets. Elle n’a que des secrets que je transfère mal, ou de façon rare et sous-marine, les dispersant sous des déguisements divers dans les proses que je tente d’écrire. « Cependant ce sont des débris de mon âme… » – comme dit Louis Aragon (**). Travail ordinaire du nouvelliste et du romancier, qui se nourrissent de cela aussi tout autant que de leur imaginaire. L’impudeur, les mensonges complaisants de l’autofiction me font vomir. Je n’ai pourtant rien à cacher car je suis un homme comme les autres portant ses aventures et ses mésaventures avec peine ou nostalgie. Je n’ai sacrifié à mes souvenirs qu’avec Les Attentions de l’enfance. Car l’enfance est attentive, et la mienne se déroula dans un temps très particulier, celui de l’Occupation allemande et de la guerre : c’est ce qui pour l’essentiel m’a conduit à livrer ces images fondatrices. Cet écrit, si je m’incruste sur terre, devrait avoir une suite qui mérite selon moi d’être entreprise, car la période des années 1948 à 1960 avait elle aussi ses particularités, et l’adolescent puis le pré-adulte que je fus y mena une existence très singulière elle aussi. Tout cela n’est pas dépourvu de nostalgies, voire de regrets ou d’étonnements rétrospectifs, ne serait-ce que parce que ces événements eurent lieu. Quelque chose de documentaire, dans le fond. Cela me paraît plus « certain » que bien des récits d’historiens qui n’y étaient pas et se fondent sur des légendes ou des récits de chroniqueurs lointains, d’idéologues portés à tordre et distordre les faits…
L’épineuse difficulté de ces narrations fondées sur le vécu personnel concerne leur objectivité et leur totalité factuelle et de sens : on va à la plus complète vérité possible en avouant les doutes (si toutefois ils n’imprègnent pas la totalité du récit), les circonstances et l’objet de la narration. C’est ce que j’ai tenté de faire avec Les Attentions, en déclarant d’emblée que ces moments, ces événements étaient pour moi « fondateurs » de ma personne et de ma personnalité. Ne m’étendant en aucune manière sur ladite personnalité, construction ultérieure, je crois n’y avoir énoncé que les faits marquants (gravés dans la mémoire) avec de rarissimes interprétations. Mes sentiments d’alors, moi subissant les faits ou y participant, je ne les ai abordés que lorsqu’ils intervenaient dans ces faits, y jouaient un rôle générateur ou moteur ou conclusif. Lorsqu’ils participaient en quelque sorte à la marche de mes événements liés à ceux de mon petit univers.
Je me suis pensé « honnête » par le choix de souvenirs « gravés », parfois au fer rouge, parfois au feu des joies et des plaisirs, teintés dans leur matière même par ce qui, possiblement et dans le cas du « récit », s’approche le plus de la spontanéité.
(**) Aragon, La mise à mort
Vivre de…
On ne vit pas de rien. Ou alors quelque temps, dans les débuts, d’amour, d’eau fraîche et de vol à l’étalage (j’ai pratiqué ce sport), puis de songes, d’illusions… Puis, si l’on n’est pas né, on doit se soutenir par un travail (***) quel qu’il soit. Aucun n’est honteux. Lucien de Samosate fut un piètre apprenti potier, puis, humoriste, satiriste, contempteur des mœurs et des ridicules de son temps, et il pratiqua la langue grecque de façon à la maîtriser si parfaitement qu’on l’en admire jusque dans le nôtre. Certains, pourtant, et c’est d’une tristesse sans nom, meurent simplement de vivre : la phtisie les emporte et leur œuvre reste amputée de ses devenirs inconnus. Ainsi Tristan Corbière, avec Jules Laforgue, qui n’appréciait guère le poète breton.
Pour moi, à demi né, j’ai vagabondé, rêvé, emprunté des voitures pour la vitesse, admiré les filles pour la tendresse, puis enseigné avec bonheur et selon un « art » (je ne crains ni le mot ni la méthode qu’il impliqua) plutôt personnel. À la fin, j’ai écrit.
(***) Cf. Travail salarié
Fin du « Lexique de l’écrivain »
Été 2016 / relu en 2020
Michel Host
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