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La Styx Croisières Cie (2), par Michel Host

Ecrit par Michel Host le 21.03.18 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

La Styx Croisières Cie (2), par Michel Host


« Toucher au réel comme on touche terre. Pauvre navigateur que je suis. Les mers sont des ciels renversés, les vagues leurs nuages »

Jules de Montalenvers de Phrysac, Livre de mes Mémoires

µ 1. À propos de Dieu. L’archevêque de Paris, Michel Aupetit, issu d’une famille non pratiquante et de la médecine, déclare (Le M. 12/I) : « … la médecine m’a appris à aimer les gens indépendamment de ce qu’ils sont. Quand vous êtes médecin, vous soignez des gentils et des pas gentils ». « … dans la prière, on apprend à parler à Dieu. On entretient une relation. Alors que dans une relation de catéchisme, on apprend à parler “de” Dieu, c’est intellectuel ».

Commentaire : Avec mon plus grand respect pour cet archevêque et sa vérité, je demeure stupéfait que l’on puisse s’entretenir, parler… avec un Être qui ne vous répond jamais, qui n’a jamais répondu à personne, qui ne répondra jamais à personne ou qui ne vous renverra que vos propres réponses ; avec une fiction, en somme, sur laquelle se sont échafaudées mille fables et historiettes à dormir debout peu à peu pétrifiées en religions, en dogmes et en rites. Cela doit tenir du rêve éveillé et de la fantasmagorie. C’est ainsi que le Facteur Cheval édifia son palais idéal, à Hauterives, dans la Drôme.

µ 2. Reliquat 1 : Brigitte Bardot a dit (Le M. 21-22 janvier) :

« Ma décision était irréversible. À 38 ans, j’ai tout quitté pour les animaux. C’est la plus belle décision de ma vie ».

De l’espèce humaine : « C’est une espèce arrogante et sanguinaire qui m’a fait beaucoup de mal sur l’essentiel ». « Moi je place l’animal au même rang qu’un enfant, sans défense, sans paroles. Les secourir devrait être un devoir. Les martyriser est une abomination. Les chasseurs sont des lâches ».

Du cinéma : « Ce n’est que superficialité et frivolité. Tout y est faux ».

Des animaux : « Ils donnent leur cœur et leur confiance sans jamais les reprendre. Ils ne possèdent rien d’autre que leur vie et être à leur contact oblige à se concentrer sur l’essentiel : l’amour ». « Mes animaux me voient vieille, et ça ne les gêne pas ».

Rituels : « Rien n’a bougé ! Notre pays laïque est un des derniers États européens à permettre l’égorgement rituel des animaux en toute conscience. C’est écœurant ».

Commentaire : Pas un mot de trop. Brigitte Bardot, pour n’être pas une intellectuelle en vue, a une pensée juste et saine. Elle est belle au-dedans comme au-dehors. J’ajoute ce que j’ai écrit plusieurs fois : aimer les animaux d’abord conduit parfois à aimer les hommes ensuite. L’inverse n’arrive jamais.

µ 3. Reliquat 2 : Elles ont dit (Le M. 21-22/I) :

À propos des violences exercées contre les femmes et de la campagne contre les violeurs, j’observe en premier lieu que l’un des points de chute des justes revendications s’intitule : #balance ton porc ! Comme toujours, l’humain, dans sa zoophobie maladive, se décharge imaginairement de ses fautes sur les animaux, ici les porcs, dont aucun n’a jamais violé qui que ce soit, pas même une truie.

Laetitia Casta : « … ne nous trompons pas. C’est un combat pour les femmes, et non pas contre les hommes, pour le respect et pas contre l’expression du désir, pour l’harmonie des relations ». « Je pensais qu’il s’agissait de bon sens mais quand les esprits s’embrasent et se laissent guider par la colère, il semble que la moindre expression modérée devienne un crime. Je suis une femme et je suis libre de penser ».

Samantha Geimer : (violée à 13 ans, en 1977, par le cinéaste Roman Polanski, à qui elle a pardonné). « Le problème quand on est une femme forte, une survivante, c’est que les militants ne peuvent rien tirer de vous. Ils le comprennent tout de suite et tournent les talons. Ils ont besoin de victimes, pas de rescapées … s’il vous plaît, mesdames, ne renonçons pas aux droits et à l’égalité pour lesquels nous nous sommes si durement battues, au profit de gens qui veulent nous contrôler et nous mettre en cage ».

Clémentine Autain : (abusée elle aussi dans son enfance). « En matière de séduction et de sexualité comme dans la société tout entière, il n’y a pas d’égalité entre hommes et femmes ». « Un homme qui frotte une femme dans le métro manifesterait ainsi sa “misère sexuelle” ? Des femmes frottent-elles couramment des hommes dans le métro ? ».

Commentaire : Peut-on, aujourd’hui encore, prétendre que les jolies femmes sont de « ravissantes idiotes » ?

Qu’on me laisse rappeler une fois de plus ce que j’écrivais du viol, dans le Petit vocabulaire de survie(Éd. Hermann) : « Viol, moyen et méthode pour ne pas s’autoriser à séduire. Le viol, s’il fut de tous les temps, et de ceux de guerre notamment, a dans le nôtre acquis le statut d’activité légitime et même recommandable (si du moins l’on examine les sentences des tribunaux) pour ces jeunes gens nombreux qu’attire peu le travail, y compris celui qui, à leurs yeux, consisterait à courtiser les jeunes filles et les dames.

L [*]µ 4. Affaire idéologiquement littéraire. On dispute toujours de la publication ou non publication des pamphlets de L. F. Céline. J’ai dit mon sentiment (derniers Carnets d’un Fou, 2017) : il faut publier, car ignorer est pire que de savoir. Dans Le M. du 12/I, Mme Samoyault professeur, présentant toutes les garanties de la pensée officielle, invente une problématique simpliste d’opposition entre « littéraires » et « historiens ». Elle s’en tire très mal, ou plutôt ne s’en tire pas. Son discours professoral est éminemment confus. M. Moix, écrivain de son état, est plus clair : il refuse la dichotomie romans/pamphlets qui « produit une idée fausse de l’homme qu’il (Céline) fut ». Il ajoute « Céline nous rappelle que l’homme est la capitale de toutes les contradictions ».

Commentaire : cela veut-il dire que l’on doit exonérer Céline de son antisémitisme de chien enragé ? Non, mais on y comprendra quelque chose pour peu qu’on se penche sur la biographie de l’enfant et du médecin qu’il fut. La compréhension n’est pas le pardon, mais seulement l’élucidation. Ici intervient la censure de nos Jivaros. L’historien Zeev Sternhell voit dans la publication un risque de légitimation de l’antisémitisme ; il souhaite donc qu’on publie avec un solide essai introductif, ce qui paraît relever du bon sens, pour qu’ensuite chacun se fasse un avis plus assuré. Pour les censeurs, rien, personne, aucun argument ne les portera à tenter la démarche difficile de l’élucidation.

Le 30/I

[*} L = affaires littéraires, littérature

 

µ 5. Dans le document filmé de ce dernier lundi (émission TV Grand Angle), intitulé « Qui a tué François Fillon ? », les journalistes auteurs de ce travail nous rendent une vision plus réelle de cet assassinat politique. À l’époque, comme tant d’autres Français, contre un homme pour lequel je n’éprouvais pas la moindre sympathie, je crus voir se rameuter les chiens de la presse, ceux du parti socialiste et tous ces gens dits « de gôche » qui, peu de temps après, en se ralliant en masse à M. Macron, allaient démontrer qu’ils défendaient leurs idéaux de gauche comme moi je défends les pêcheurs à la ligne des berges de la Marne. Cette vision n’en était que la moitié d’une, ou une simple illusion. L’échec politique se joue d’abord dans la sottise du prétendant Fillon (amoureux de l’argent, aveugle sur ses vrais ennemis, aveuglé par le bruit des foules… et par son sens politique datant du siècle précédent). La vérité est que ses ennemis étaient dans son propre camp, les plus acharnés à le convaincre de ne pas se présenter, dans une magistrature aux ordres et faisant feu de tout bois pour le faire comparaître, du moins devant le tribunal du peuple. Un avocat libanais, Robert Bourgi, le « niqua » (sic) par un stratagème digne du levantin qu’il est : il l’accrocha à l’hameçon, muni celui-ci d’un fort émerillon, en lui taillant un costume sur mesure, très onéreux, en réglant la note lui-même et en offrant à la presse aux aguets la photocopie des chèques qu’il avait signés au tailleur tandis que fumait la bouillabaisse où la langouste Fillon allait bientôt mijoter.

Le 30/I

 

µ 6. Ils ne peuvent s’en empêcher. Nos cousins et néanmoins amis d’Outre-Rhin, fabricants les automobiles VW, ont confessé qu’« entre 2012 et 2015, des laboratoires financés par les constructeurs allemands ont fait inhaler à des cobayes humains et à des animaux des gaz d’échappement (dioxyde d’azote), afin d’en démontrer l’innocuité » (Le M. du 31/I).

Questions : Un léger goût de revenons-y… à Auschwitz ? Un brin de nostalgie du block 10 du même lieu de villégiature ? Ce qui fait la force de ce peuple : sa ténacité.

µ 7. Douce France. Lentement, en catimini, ce que certain général aurait appelé « la chienlit », se réinstalle en Macronie : des passionnés du bétonnage veulent, à Nantes, couvrir de ciment 3000 hectares de bonnes terres ; des policiers frappent des gardiens de prison excédés d’être pris pour cibles par les couteaux des djihadistes qu’ils doivent surveiller ; les juges sont un jour dans la hâte de poursuivre untel, et le lendemain dans la plus grande lenteur des procédures contre tel autre (M. Cahuzac, dont on dit qu’il aurait payé une partie de ses dettes, mais toujours en liberté non surveillée) ; les soignants des vieillards en état de dépendance protestent en masse contre leurs moyens insuffisants ; les ministres empochent des sommes folles tout en désignant à la vindicte publique les retraités, ces profiteurs, ces monstres d’égoïsme qui malgré tout ont financé par leur travail (un fait allègrement passé sous silence) les retraites des générations qui les ont précédés ; la classe modeste et travailleuse est livrée pieds et poings liés au patronat ; les futurs étudiants se dressent contre les projets de remise en ordre dans l’organisation d’un baccalauréat distribué à tous, sans aucune valeur par conséquent, et le tri ou sélection à faire avant l’entrée à l’université : ils sont en grève, ils ne veulent pas être sélectionnés selon leurs capacités ; l’ambition, pour nombre d’entre eux, est de se reposer une ou deux années dans les amphithéâtres ou ailleurs, aux frais du contribuable, en attendant d’être rejetés au tout-à-l’égout de l’incapacité intellectuelle et sociale d’où ils dénonceront la société coupable de n’avoir pas rétribué leur manque de talent.

µ 8. La sympathique philosophe Corine Pelluchon désire « promouvoir un monde habitable » et « une éthique de la considération ». Nous aurons tout loisir d’en reparler. Moi, qui dénonce un monde inhabitable, je lui dis « Courage, ma petite ! ».

Le 1er/II

 

µ 9Traduire de l’anglais en français. Des professeurs de la Sorbonne ancienne et nouvelle dénoncent un grave faux-sens, repris depuis des années dans les différents médias. Il s’agit du terme serial killer, inlassablement traduit par tueur en série. L’erreur est manifeste, il faut dire et écrire : tueur sérieux.Qui, d’ailleurs, connaît un seul tueur manquant de sérieux dans ses travaux pratiques ?

µ 10. À bord de son navire amiral, le STYX, dans sa cabine, le commandant, une fois de plus après tant d’autres, risque la contradiction dans ses pensées. C’est pourtant de la nature de l’esprit lui-même. Il pense un jour ceci, le lendemain cela. Il risque aussi de tomber dans le genre Journal intime, qu’il a toujours condamné. Il tentera de s’en défendre, mais il en restera des traces, des échappées… Cela aussi est humain.

µ 11. Au temps où je commençais mes études secondaires, on m’a interdit les humanités, le grec, le latin, les lectures de l’histoire antérieure à 1789. J’en ai beaucoup pâti, j’ai tenté de réparer les brèches, de combler l’ignorance par mon seul désir, pour le grec notamment. Causes premières du désastre : des parents peu enclins aux études, le goût immodéré des Jivaro-progressistes pour un égalitarisme établi dans la médiocrité moderniste plutôt que dans l’excellence de la pensée fondée et fondatrice. Cette excellence a été réservée aux très grands lycées, aux collèges des jésuites, à l’ENS, aux classes hautement bourgeoises et cultivées. Je n’ai rien connu de tel. Récemment encore, par le ministère lui-même, latin et grec furent éloignés des études. Les Jivaro-progressistes, à la suite des Jacobins, auront été les meilleurs censeurs de l’histoire humaine, ils auront fait reculer l’esprit en prétendant l’ouvrir et le libérer. Tenez, vouliez-vous lire Charles Maurras ? Eh bien, d’abord, pourquoi le lire, il est obsolète n’est-ce pas, même si sa langue touche à la perfection ? Mais qu’a-t-on à faire de notre langue ? Cherchez ses œuvres sur les rayons des libraires, dans la Pléiade… rien, ou presque. Il était antisémite, certes, et certaines de ses déclarations sont scandaleuses. Ne peut-on « encadrer » l’antisémitisme par la connaissance de l’histoire ? S’en vacciner ? Serons-nous d’éternels mineurs, jugés incapables de séparer le bon grain de l’ivraie ? Maurras, dans la dernière version-papier de l’Encyclopédie Universalis, jouit d’un strapontin placé dans le Thesaurus, mais pas d’un fauteuil dans le corpus de l’ouvrage. Mon Lagarde et Michard, manuel d’études littéraires, s’en est prudemment tenu à Renan et à Anatole France. De Maurras ? Pas un mot, comme s’il n’avait jamais existé. Les Jivaro-progressistes ont gagné : je ne sais rien de Charles Maurras.

Le 14/II

 

L µ 12. Lu, d’André Breton, la Correspondance avec Tristan Tzara et Francis Picabia. 1919-1924 (nrf Gallimard). (En préparation, une « lecture » destinée à La Cause Littéraire). On sort de la première Guerre mondiale. Il s’agit, pour l’essentiel, de la naissance et des premières évolutions du mouvement Dada, inspiré par Tzara, le dynamiteur absolu. Les notes, abondantes, nous en laissent deviner les aléas et difficultés. On est, pour l’essentiel, dans des projets rarement aboutis, des échanges de textes et d’illustrations pour diverses revues, des rendez-vous qui auront lieu ou pas. Avec Francis Picabia, les échanges sont souvent plus animés et divertissants. Néanmoins, n’exagérons rien : on se connaît depuis peu, on s’observe, et d’une certaine façon on marchera sur les plates-bandes de l’autre à la première occasion. Breton est dans le deuil quasi éternel de son ami Jacques Vaché. Il traite ses nouveaux amis avec une affectivité débordante. On a donc les nerfs à vif à vivre ainsi dans une émotivité permanente. Là est la première source des brouilles et malentendus à venir.

µ 13Affaire Jérôme Cahuzac. Son procès en appel vient de s’ouvrir (ce 21 février). Il est accusé de fraude fiscale et de blanchiment. On pourrait aussi l’accuser d’avoir menti à la France entière, car il avait déclaré à la chambre, alors qu’il était ministre du budget chargé de veiller à l’honnêteté en ces matières, qu’il n’avait aucun compte secret ouvert en Suisse. C’était faux. Cinq ans maintenant qu’il traîne le boulet que sa propre cupidité lui a rivé à la cheville. Il sera emprisonné effectivement si sa peine excède les deux ans. Défendu par Me Dupond-Moretti, connu sous le nom d’Acquittator, il gémit sur sa douleur, et sur celle plus vive encore qu’il éprouverait s’il devait faire de la prison. Sa famille, ses enfants, vous comprenez ?… Faut-il donc, au-delà du déshonneur, le punir aussi cruellement ? C’est vraiment drôle. Quel condamné aime aller en prison, si ce n’est quelque SDF plutôt content d’y passer l’hiver au chaud ? Je n’en raffolerai pas, mais tout de même… tout de même… M. Untel, voleur de colifichets aux vitrines des bijoutiers, et M. Machin-Chose, auteur de trois larcins et d’une petite escroquerie sont-ils en droit d’exciper de leur honneur familial et du regard de leur voisin de palier pour se défendre des rigueurs de la justice ? Leur pose-t-on seulement la question ? Les membres de la représentation nationale, la grande presse morale et politique (Le Monde, entre autres…) n’ont pas encore réagi. Ils le feront sans doute avec cette belle vigueur de la vertu qu’on leur connaît, façon de se blanchir sans blanchir leur argent, quand la nation tout entière sait qu’ils se nourrissent des impôts excessifs qu’ils lui imposent, qu’ils bâtissent secrètement en quelques années des fortunes inimaginables par le biais d’escroqueries et de prévarications discrètes qu’ils ont tout loisir de mettre en œuvre.

Quelques citations morales et littéraires lancées au procès par la défense de Me Michel, avocat de l’accusé : « La vérité est rarement pure et jamais simple » (Oscar Wilde) « Donne un cheval à celui qui dit la vérité, il en aura besoin pour s’enfuir » (Proverbe persan). De Me Dupond-Moretti : « La liberté est partout en péril, et je l’aime. Au point qu’elle ne me paraît pas seulement indispensable pour moi, car la liberté d’autrui m’est aussi nécessaire » (Bernanos).

µ 14La vieille dame et les pinceaux. Les Vieux Pinceaux machistes n’ont jamais aimé les dames qui prétendaient rivaliser (ou simplement exister) avec eux dans leur espace viril, artistique et financier. Nombre d’entre elles sont aujourd’hui accueillies dans des galeries, des expositions, des musées fatigués des enfantillages de ces messieurs, et désireux d’agrandir aussi leurs aires financières. Elles ont nom, d’après un article du M. (7/II/2018) signé par Roxana Azimi : Valie Export, Sheila Hicks, Carmen Herrera (102 ans, qui vendit sa première œuvre à 89 ans), Colette Brunschwig, Miriam Cahn, Carol Rama… Ces dames eurent un seul avantage : elles furent libres de toutes les contraintes esthétiques et « de marché » ! Si elles ne vendirent pas ou très peu, ou à des prix humiliants, elles eurent la chance d’essuyer « les rebuffades des galeries comme des musées ». Elles furent et restent, même si elles émergent sur le tard, des artistes maudites face à l’art mâle triomphant : « La peinture en particulier est une chose très macho, avec une relation au pinceau très virile, si l’on ose dire » (Mme Azimi). J’en dis ces quelques mots avec d’autant plus de colère et de dégoût qu’ayant lié mon destin à celui d’une artiste plasticienne, je l’ai vue elle aussi essuyer tristement rebuffades et allusions répugnantes chez des galeristes parfois disparus, dont j’estime, avec le recul du temps, qu’ils n’étaient que la médiocrité marchande personnifiée. J’en acquis, pour le monde de l’art, un écœurement définitif. Roxana Azimi appelle ces artistes « les mamies de l’art ». Elle a objectivement raison, mais a-t-on jamais appelé MM. Manet, Monet, Matisse, Dufy, Renoir… les papys de l’art ?

µ 15. On a beau ne s’intéresser à la science que de loin, on attend les résultats des recherches entreprises actuellement, non loin de Rochechouart-Chassenon (en Limousin, au temps de la Pangée), au sujet d’une météorite, appelée aussi « l’astroblème », tombée à 72.000 km/h dans ces paysages alors dépourvus d’humains, il y a environ 200 millions d’années. Le cratère, aujourd’hui en grande partie comblé, mesure entre 20 et 50 km de diamètre. La chose paraît sérieuse (il était temps !) car elle est financée à la fois par l’Europe, l’État français et les collectivités locales.

L µ 16Elias Canetti et la mort. L’admirable penseur se déclare opposé à la mort, et d’abord à celle des autres, victimes des tyrans à travers l’espace et le temps. De lui, on publie donc ces jours-ci un volume longtemps médité et qui impressionne, Le livre contre la mort, soit près de 500 pages. On y lira, par exemple : « La puissance a besoin de la mort car elle se fonde sur la survie ». Ou bien « Il (Canetti parlant de lui-même à la 3e personne) est le témoin attentif d’une injustice interminablement répétée. Il ne cesse de la constater avec indignation et ne peut l’empêcher de se reproduire ; Il encourt le danger de s’habituer à cette injustice », Nicolas Weil, le critique du M (26/I/2018), parlant du livre, a cette formule : « L’hallucinante entreprise ».

 

J’ai quatre mots à vous dire

Bizarrerie lexicale : le redoublement syllabique.

On a connu (si l’on est né l’époque voulue, dernier quart du XIXe siècle) le Grand « Bi », sorte de vélocipède à roue avant motrice (à l’aide des mollets du bibiste) et le « BIBI », mignon petit chapeau qui a couvre la tête des élégantes, n’est né que plus tard. Mais on n’a connu ni le ‘ZI’ ni le ‘ZO’ : on s’est donc rattrapé en créant le « ZIZI » et le « ZOZO » (à ne pas confondre avec le « ZAZOU » ; le (ou la) « ZONZON » ; le « ZINZIN » ; « FOUFOU »… Citons encore le « BONBON » ; le « BABA » ; le BOBO, le « TONTON » ; le « CANCAN » ; le « PIPI » ; le « FIFI », un grand oubli pour un petit oiseau ; les « CHICHIS »… Que peut-on dire de ces mots en redoublements ou en simple écho syllabique ? Au vrai, rien du tout, sinon qu’ils sont là, nés on ne sait quand, ni pour quelles raisons… Voyons cela de plus près :

Le BIBI n’est certes pas le couvre-chef de la femme montée sur un grand bi. Peut-être vient-il de « mon bibi », surnom affectueux donné à une femme ou à un enfant. Il est encore aujourd’hui, l’éventuel substitut du pronom « moi » : « C’est qui qui l’a fait ? C’est bibi ! ».

Le ZIZI et le ZOZO ? Pour le premier, Buffon, qui avait des visions, y reconnaissant un petit oiseau, le bruant. Contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, il désigne aussi le sexe de la petite fille. Et même le « derrière » de l’enfant mâle ou femelle, sous la forme menaçante du « zizi-panpan ». Pour le second, on conçoit aisément qu’un « ZO » n’a jamais rien dit à personne, car nous avions déjà un « SOT ». En revanche, le ZOZO ne pouvait être que dans la lune, éternellement « à côté » de ses pompes et de ses œuvres, esprit égaré et presque drôle pour cela.

Le « ZONZON » fut celui d’une machine, ou d’un insecte… un bourdonnement en somme. Aujourd’hui, sans doute parce que rumeurs et bruits extérieurs n’y parviennent que très atténués, il désigne argotiquement la prison, lieu où l’on peut devenir fou. Une acception entendue quoique mal répertoriée : « Il (Elle) est un peu zonzon », c’est-à-dire gâteux, gâteuse… ou fou, folle…

« ZINZIN » touche à ZOZO (l’égaré) et à ZONZON  (un peu fou). « FOUFOU » est celui qui fait son fou, un chat par exemple, ou un chien, ou un enfant, voire un grand-père qui amuse ses petits-enfants par des facéties qu’on lui reprocherait en toute autre circonstance.

Le « BONBON » doit sans doute son nom au fait qu’il est mille fois bon, divinement bon. Le « BABA » a-t-il quelque chose à voir avec les grand-mères russes et les rois de Pologne, comme le suggère Alain Rey ? On en doute. Et ce d’autant qu’il n’a de goût que baigné de rhum. Si on en mange, alors on en est « baba », ce que n’eussent certainement pas admis Ali Baba, ni le Prophète, ni les bédouins du désert qui ont tous leurs pâtisseries sacrées et s’opposent fermement au péché de gourmandise.

Le « BOBO » est une blessure très grave, voire mortelle, chez l’enfant seulement. Les mères et les nourrices le soignent en soufflant sur l’égratignure. Le bourgeois-bohême est né récemment, sous le nom de « bobo », une sorte d’admirable personnage, toujours bien pourvu mais se déguisant en homme modeste, vivant en homme de gauche officiellement et, officieusement, en profiteur dissimulé ne partageant aucune des souffrances humaines, pas même le plus petit bobo.

Le « PIPI » n’est pas deux fois le nombre « Pi », ni le mâle de la pie… C’est bien pis, un relâchement enfantin de la vessie, sévèrement puni s’il a lieu au lit et passé un certain âge. Les Grecs, en nous donnant le KAKA, la notion du laid, nous ont, par esprit contrariant, offert aussi la BEAUTÉ. Le « FIFI » était, au Nord d’Arras, dans mon enfance, le petit moineau des villes et des champs. Le « TONTON » aurait existé d’après « ma tante », selon Alain Rey. Pure fadaise. C’est l’oncle, mais aussi, je crois, l’ancienne « mouche », le « mouchard », l’informateur de la police. Il n’a rien gagné à devenir macoute, en Haïti : littéralement « l’ogre au grand sac ».

Le « CANCAN », enfin, n’est pas issu du quanquam (pourtant, quoique) latin, mais plutôt du cancanage, ou vain bavardage médisant. Des dames s’en emparèrent tout naturellement au milieu du XIXe siècle, qui en firent une danse célèbre, jusqu’à la Belle époque, au cours de laquelle elles levaient une jambe puis l’autre, tout en se trémoussant au son d’une musique à réveiller les morts. Les Britanniques, particulièrement friands de cet exercice de haute volée, ou bien frustrés de visions jambières de haute voltige, venaient en masse de Londres, Edimbourg et Birmingham se repaître de ce spectacle qu’ils nommèrent le french cancan, et ce avec d’autant plus de plaisir que le pape et les papistes l’avaient condamné. En outre ces dames ne faisaient pas de CHICHIS. Ils adoraient.

 

Fin de la Styx Croisières Cie, 2, février 2018

 

Michel Host

 


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005