La solitude du Quetzal Echappée au Guatemala, Jacky Essirard
La solitude du Quetzal Echappée au Guatemala, éd. Yovana, juin 2016, 132 pages, 15 €
Ecrivain(s): Jacky Essirard
Fuir là-bas, fuir écrivait Mallarmé dans sa célèbre Brise marine. C’est en effet souvent le désir de fuir qui provoque nos départs pour d’autres coins du monde, d’autres cieux et d’autres odeurs. C’est cette fuite de soi et de son histoire qui poussa l’auteur à faire le voyage pour ce pays de volcans et de vestiges mayas qu’est le Guatemala. Même lorsque l’on peut prétendre ne pas aimer les voyages et les explorateurs (1), il y a souvent un espoir imaginaire, ou un espoir d’imaginaire qui nous pousse en avant, toujours plus loin, toujours ailleurs.
Ici c’est une rupture amoureuse qui sera le déclencheur du grand voyage, de l’espoir du grand voyage au-delà des mers. Il y aura aussi un guide, grand voyageur de mots et découvreur de mondes, intérieurs autant que réels, en la personne du poète Henri Michaux et de son Ecuador (1929). Nous voilà bien loin du « routard » qui, fort du guide du même nom (ou de son Lonely Planet s’il est anglophone), entreprend de « se faire le Guatemala », de dérober quelques images à épingler sur un quelconque mur, virtuel ou réel. Sans emballements ou enthousiasme convenus, voire avec une certaine désillusion, Jacky Essirard contemple ce monde d’ailleurs qui vit sa vie, ordinaire, sans mises-en-scènes photogéniques, sans faire le spectacle, sans misérabilisme déplacé. Plutôt indifférent à ce voyageur semblable à beaucoup d’autres.
Chronique douce-amère d’un voyageur qui voudrait se déprendre de soi et découvre que même ailleurs l’on reste soi, avec nos histoires, nos souvenirs et nos blessures, avec nos rêves aussi. Découverte aussi que l’autre reste autre, toujours étranger, au moins en partie, et que notre premier obstacle à la rencontre c’est nous-mêmes. Nous sommes sans doute nos propres frontières, les premières et les dernières.
Sans fard, sans emphase décourageante, les odeurs et les couleurs se livrent à nous, des visages et des gestes, des mots et des regards se dévoilent en toute simplicité, en toute honnêteté, loin, très loin du spectacle de l’exotisme. L’efficacité des médias et des transports ont peut-être réduit à peu la révélation que l’on peut attendre du voyage, court-circuitant temps et espace avec une violence que n’avait pas connue le poète et guide Henri Michaux au début du XXe siècle, quand chaque voyage était expédition au bout du monde. Aujourd’hui les océans se franchissent le temps d’une grosse sieste, dans la promiscuité d’un autobus volant, et notre corps se retrouve de l’autre côté du monde sans que nous ayons eu vraiment le temps de « faire le voyage ».
Ce qui fait le prix de ce récit de voyage, qui pourrait sembler n’être que le récit d’une désillusion pour ne pas dire d’une déception, c’est que balayant les rêves de l’explorateur des temps modernes (avide d’inventorier et de cataloguer le monde), il met à jour ce qui peut faire le prix, modeste, ou plutôt humble, d’un tel voyage : la découverte que l’on doit aussi savoir se laisser porter par le monde, renoncer à jouer les conquérants et les conquistadors et découvrir que le « merveilleux », « l’aventure » sont surtout des artifices de notre regard qui parfois sait voir et parfois ne sait pas voir.
Peint sur un mur, un oiseau-mouche au dessus d’une fleur, voilà toute mon aventure.
C’est alors que, discrètement, entre les respirations de l’écriture qui se ferme sur le passé, l’autre guide parfois s’impose, le chauffeur de taxi Emilio, discret et bienveillant, qui ne parle pas français mais qui rendra aussi le voyage possible en se tenant juste là, sur la route qui permet d’aller toujours un peu plus loin, et de revenir.
L’auteur, parfois aussi solitaire qu’une créature légendaire perdue au XXIe siècle, tel le Quetzal, est aussi poète et s’approche souvent de la sensibilité et de l’économie des haïku pour nous livrer ce monde à la fois proche et lointain par petites touches. Des touches dont la légèreté et la simplicité sont telles qu’elle nous échappent parfois, mais nous touchent à tous les coups.
Si, grand ou rare voyageur vous êtes, il se pourrait bien qu’à l’issue de ce voyage plus littéraire que touristique vous ne voyagiez plus tout à fait de la même façon.
Marc Ossorguine
(1) Claude Lévi-Strauss en ouverture de Tristes tropiques (1955) : « Je hais les voyages et les explorateurs ».
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