La sage-femme, Katja Kettu
La sage-femme, traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, mars 2014, 432 pages, 23,50 € (disponible en format epub et pdf numérique, 17,99 €)
Ecrivain(s): Katja Kettu Edition: Actes Sud
Une femme dans la guerre
Le roman de Katja Kettu évoque une période méconnue de l’Histoire de la Finlande pendant la seconde guerre mondiale. En effet, l’intrigue se déroule durant la « guerre de Laponie ». C’est une appellation donnée par les historiens pour évoquer cette période singulière et dramatique. La préface du traducteur qui ouvre le roman mérite qu’on s’y attarde car elle trace les grandes lignes de cette guerre afin de permettre au lecteur de mieux suivre le récit et d’apprécier la trame romanesque ainsi que les motivations des personnages :
« Les Allemands refusant d’évacuer la région, les Finlandais doivent se lancer dans un troisième conflit, la “guerre de Laponie”, qui les oppose au IIIe Reich entre septembre 1944 et avril 1945. La Wehrmacht se rabat d’abord sur la Finlande du Nord dans le cadre de l’Opération Birke (“bouleau”), avec pour objectif principal de protéger les mines de nickel du Petsamo ».
C’est dans ce contexte qu’une sage-femme sauvage, mystérieuse et douée en science botanique, tombe amoureuse d’un officier allemand, photographe à ses heures. Repoussée par les habitants qui ont peur de ses pouvoirs de guérisseuse et de son origine, la jeune femme surnommée Œil-Tordu n’a plus rien à perdre :
« Tu te rends compte ? Que les gens du coin aient encore l’idée de me traiter de bâtarde de rouge, trente-six ans plus tard. Œil-Tordu, bâtarde de rouge. Dans la maison de mon père adoptif, Lamperi le Grand, on ne manquait jamais de me rappeler que j’étais une âme orpheline bonne à cacher dans un placard (…) ».
Cependant, loin d’être une Cendrillon des contes, Œil-Tordu décide de tout abandonner pour suivre l’officier SS Johann Angelhorst pour lequel elle ressent une attirance quasi animale. Pistant sa trace comme une jeune louve sa proie, elle part à sa recherche. Cette quête obsédante de l’amour physique et spirituel est accompagnée chez la jeune femme d’une réflexion profonde sur la nature humaine ainsi que sur la vie et la mort. Le personnage est ambigu, complexe et revenu de tout sans jamais renier sa part d’humanité. Le lecteur suit ses errances et les sauvageries de la guerre. Mais rien ne viendra briser l’instinct de survie de la jeune femme jusqu’à la tragédie finale…
Le mérite du récit tient dans la capacité de l’auteure à faire évoluer la conscience de son personnage féminin tout au long de son périple où, plus d’une fois, elle a frôlé la mort. Le lecteur est en terre étrangère. Il erre, lui aussi, au gré des destinations de la sage-femme. La carte des lieux placée au début du roman devient sa seule boussole. Ainsi, en pur nomade, il part de Petsamo pour Totovka, Parkkina, Saariselkä ou encore Liinahamari pour s’arrêter un temps au « fjord du Mort » qui est comme le souligne Sébastien Cagnoli, le traducteur de ce roman, « un endroit du globe réputé maudit, où les instruments de navigation sont perturbés par des phénomènes magnétiques : cela donne au texte une touche presque fantastique. De même, on évoque l’histoire authentique du village de Saariselkä, où se trouve une “colline magnétique”, dont la pente est si raide que les camions des années 1940 avaient du mal à gravir… ».
La sage-femme possède une structure romanesque proche de celle usitée par Sofie Oksannen dans ses romans tels que Purge ou encore Quand les colombes disparurent. Katja Kettu joue avec les dates pour mieux surprendre son lecteur. Grâce à ce subterfuge, elle a su briser la monotonie d’une lecture diachronique des événements.
En conclusion, c’est un roman qui mérite d’être lu car il permet de mieux comprendre l’histoire passée et présente de la Finlande et ses rapports avec ses voisins limitrophes. Sa lecture accompagnée de celle des romans de Sofie Oksannen et du récit Les bûcherons de Roy Jacobsen ne peuvent que plaire aux lecteurs passionnés d’histoire et au goût éclectique.
Victoire Nguyen
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