La Saga Maeght, Yoyo Maeght
La Saga Maeght, avec la collaboration de Pauline Guéna, juillet 2014, 336 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Yoyo Maeght Edition: Robert Laffont
« Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous », Victor Hugo
Par le prisme d’un regard d’enfant, Yoyo Maeght, la petite-fille d’Aimé et de Marguerite, galeristes et fondateurs de la Fondation éponyme à Saint-Paul-de-Vence, retrace dans un livre paru aux éditions Robert Laffont l’histoire du projet qui animait son grand-père, marchand d’art qui vécut dans l’intimité des grands artistes de l’histoire de l’art moderne. L’auteur, la confidente, nous propose un dialogue avec un siècle de création, mais aussi l’épopée d’une dynastie amoureuse des arts sur trois générations, et la vision déchirée d’une famille qui s’autodétruit sous ses yeux.
« Je grandis parmi des hommes rares et j’apprends à voir le monde comme Miró me le montre, comme Prévert me le chante, comme Calder, Malraux, Chagall, Papy me le suggèrent, dans sa beauté, ses excès, ses secrets, ses drames aussi. J’ai l’œil attentif, posé sur la vie et sur la nature. Ces grands hommes de XXe siècle forgent mon regard » in. La Saga Maeght
Yoyo Maeght est née le 14 janvier 1959, elle est éditrice, galeriste et commissaire d’exposition. 2014 fête les 50 ans de la Fondation administrée par sa famille, et à propos de laquelle, le 28 juillet 1964, jour de son inauguration, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, déclarait : « Ici est tenté quelque chose qui n’a jamais été tenté : créer l’univers dans lequel l’art moderne pourrait trouver à la fois sa place et cet arrière-monde qui s’est appelé autrefois le surnaturel ».
Yoyo a grandi parmi les artistes et les poètes : Miró, Calder, Chagall, Giacometti, Prévert, Malraux, Aragon… Une enfance de rêve et des parrains qui lui ont transmis une sensibilité, façonné sa manière de voir et de lire la vie.
Il paraîtrait que le premier regard est déterminant entre des parents et leur enfant. Il faut croire alors que l’un des petits-enfants de Marguerite, dite « Guiguite », et Aimé Maeght, tout au long de son existence – miroir entre le blanc de son enfance et les ombres de sa vie – a dû s’imposer avec un prénom et un esprit !
Avec La Saga Maeght, Yoyo part à la recherche de son passé à travers celui de sa famille, mais sans y vivre, surtout pas ! Comme un voile qu’il faudrait revêtir pour que celui-ci transfigure le visage des métamorphoses d’une âme blessée. L’auteur vit ici avec l’idée d’une reconnaissance trahie, en quête d’amour, de vérité simple et non d’une simple représentation de l’orgueil et de l’égo :
« Une nuit d’hiver, trois silhouettes traversant la place de l’église Saint Thomas d’Aquin, ils pressent le pas dans ce Paris glacial, de retour d’un cabaret de Saint-Germain-des-Prés, la Rose Rouge, où ce trio d’amis va souvent écouter Juliette Gréco ou Mouloudji… Ils marchent en plaisantant, répondant aux blagues de l’homme qui les accompagne ; lui, c’est Prévert, mégot au bec. Ils sont joyeux, comme souvent, ils vivent pleinement ces années d’insouciances. Le couple habite tout près de l’église, au numéro 42 de la rue du Bac. Il fait froid, il a neigé. Paule serre frileusement autour d’elle son manteau de fourrure. Alors qu’ils s’apprêtent à traverser la place déserte, les trois compères sont arrêtés par un babillement. Intrigués, ils approchent : là sur les marches de l’église, mal enveloppé d’un simple papier journal, se trouve un nourrisson qui se débat. Ils l’arrachent au sol gelé et se précipitent le mettre au chaud, lui sauvant probablement la vie…
Dès le matin, Adrien et son copain Prévert se rendent à la mairie pour déclarer à l’état civil la venue au monde du nouveau-né. Déjà parents de deux fillettes, Paule et Adrien ont décidé de garder la petite rescapée de la nuit, même si c’est une fille, une troisième pour eux… la petite Françoise rejoint la famille Maeght, mais Prévert est têtu et la renomme Yoyo, un nom qui n’est pas celui d’aucun saint, parfait pour cet anticlérical forcené. Françoise devenu Yoyo, c’est moi, l’enfant trouvé un soir d’hiver ».
Derrière le miroir, que se passe-t-il, durant le passage ?
Laissons-nous nos tournoiements aux loups,
retrouvons-nous ses fragments lisses,
toutes ses facettes sur le sol en morceaux ?
Alors seulement, peut-être les épines de la nuit se plieront dans un écrin de velours,
propulsant les lumières du crépuscule à l’Aurore d’une nouvelle vie.
Echappant chaque jour un peu plus à « l’enfer » que l’on vous destinait.
En 1932, avec le soutien d’Auguste Bonnard, un père d’adoption, et d’Henri Matisse, Aimé Maeght décide d’ouvrir sa première imprimerie Arte à Cannes. Visionnaire, ce lithographe épris de couleur s’apprête sans le savoir à participer au rayonnement de nombreux artistes dont Kandinsky, Georges Braque, Miró, Calder, Tàpies, Chillida, Picasso, Chagall, Duchamp, ou encore Alberto Giacometti. Derrière l’homme « aimé » des artistes, que l’on aperçoit sur des photos entouré des peintres de l’époque, se cache la couleur sombre d’une singularité trempée et volontaire, d’un homme orphelin, mais aimant l’autre dans le large spectre de ses contradictions. Yoyo, tout au long du livre, s’attache à rendre visible les quêtes spirituelles de son Papy, son grand-père si protecteur. Ainsi que son obsession à laisser dans le sol du sud de la France et les esprits un héritage artistique digne d’une grande nation grâce à la Fondation Marguerite et Aimé Maeght. Une nation qui, pour un temps, faisait pleinement confiance à ses artistes, passeurs d’exception qui défendent une certaine idée de la modernité, de la beauté et du rayonnement de l’homme à travers la culture.
Mais,
sommes nous,
seulement par ce que nous faisons,
sommes-nous,
nous-mêmes que dans la filiation du sang,
et pourquoi,
est-il si difficile d’être ce que l’on est vraiment ?
« A l’enterrement de l’être que j’ai le plus aimé, la colère fait place aux larmes. Je serre les dents, les poings et, pour m’échapper de cette représentation… les vautours planent autour du cercueil, prêts à s’entredéchirer pour un lambeau de l’empire Maeght… Je m’absorbe dans son souvenir, je n’entends plus le brouhaha environnant, je suis le cortège d’un pas machinal, tout entière vers son mystère. Qui était-il ? »
Faut-il revenir à la source de toute chose, pour se connaître vraiment ? En flamand, « maeght » a la même signification que « might » en anglais : c’est-à-dire capacité-le pouvoir de faire, le pouvoir de l’action.
Chère Yoyo, ne faut-il pas chercher dans vos enfances respectives, celle de votre grand-père et la vôtre, la clé de l’esprit Maeght ? Ne faut-il pas voir l’importance des âmes secrètes, entre Marthe, Milou et Mémé Molleton ?
L’amour ne s’impose pas, ni ne se détruit, il se respire – blanc comme un nuage, il se partage – bleu comme l’air.
« De nos épreuves on peut tout faire ».
Ce livre est un nue-âge de liberté !
Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose
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