La rive sombre de l'Ebre, Serge Legrand-Vall
La rive sombre de l’Ebre, Editions Elytis, (Bordeaux, France), janvier 2013, 176 pages, 18,00 €
Ecrivain(s): Serge Legrand-Vall
Peut-on lutter contre l’oubli en allant à la recherche de son père, et plus exactement du passé de celui-ci ? Il semble bien que cela soit le cas à la lecture du roman de Serge Legrand-Vall, La rive sombre de l’Èbre. Nous sommes en 1964. Antoine est journaliste à Bordeaux, il aime Marie, sa compagne. Il est fils adoptif d’Emile qui l’a élevé durant son enfance en France. Antoine est fils de réfugiés espagnols, Inès et Antonio Romero. Ce dernier est mort durant la bataille de l’Ebre en 1938, tandis que son épouse Inès a pu mettre au monde son enfant Antoine dans la neige d’un col pyrénéen durant la Retirada, terme désignant la retraite des troupes républicaines espagnoles face à l’offensive des troupes franquistes conduite cette même année.
Antoine apprend le décès de sa mère Inès, disparition due à une crise cardiaque. A l’occasion des obsèques, on lui remet des lettres de ce père, au passé insuffisamment éclairci pour Antoine. Pour en avoir le cœur net, il décide de se rendre en Espagne qui est à cette époque toujours sous le joug de la dictature de Franco.
Antoine décide de rencontrer les habitants du village de Mora, localité de Catalogne. Il y rencontre ainsi une certaine Pilar, qui a connu Antonio Romero et l’a aimé en pleine guerre civile. Toutefois, Antoine est intrigué à la lecture des lettres de son père par la mention d’un certain Gonzalo. Pilar lui fait comprendre que ce Gonzalo l’a aimée aussi, qu’il a réussi, entre deux affrontements, à lui rendre visite… Ce qui met en doute la véritable filiation d’Antoine. Est-il le père d’un combattant républicain, Antonio Romero, ou d’un franquiste Gonzalo ?
Il y a dans ce roman des séries de rappel concernant l’histoire, le pouvoir de l’idéal, celui de la violence aussi. Ainsi apprend-on avec quelque honte que les réfugiés espagnols ont été loin d’être les bienvenus en 1939 au pic de leur exode. Manolo, un personnage du roman, exilé, se souvient : « Et les coups de crosse avec ça, les insultes. Comme si la seule chose qu’ils voulaient, c’était nous humilier. On a été parqués comme du bétail dans une cour de ferme, sans nourriture, sans eau, dans la boue, sous la pluie et la neige … ».
L’auteur rappelle que cette guerre fut le théâtre d’atrocités multiples, que des milliers de fusillés ont été enterrés dans des fosses communes, sans sépulture… Le récit de la mort d’Antonio Romero en novembre 1938, noyé au cours d’un repli de son détachement, prend tout son sens : « Engourdi, épuisé. L’eau glacée emplit sa bouche. Elle avait un goût de roche et de pluie. Antonio sut qu’il ne vivrait pas ce que la vie pourtant lui avait réservé. Puis, la paix des eaux le recouvrit ».
Le récit retient bien l’attention du lecteur, en particulier grâce à la mention du contenu des lettres d’Antonio et à l’évocation de la situation des personnages durant la guerre civile, fort opportunément indiquée en italique dans l’ouvrage. Les personnages y ont une grande épaisseur humaine. On s’attache à leurs combats, on compatit à leurs déchirements entre deux cultures. Nous ne révélerons pas le dénouement du roman, dont la lecture est très agréable, souvent émouvante.
Cet ouvrage illustre la liaison étroite entre l’Histoire, toujours à (re)découvrir, et les destinées individuelles, incluses dans cette dernière, et actrices de son accomplissement.
Stéphane Bret
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