La reine noire, Pascal Martin
La reine noire, septembre 2017, 248 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Pascal Martin Edition: Jigal
Chanterelle, village de Lorraine, vit en sursis depuis la fermeture de la raffinerie de sucre dont la haute cheminée, surnommée La Reine Noire, jette son ombre inquiétante sur les toits en tuiles rouges des petites maisons de l’ancienne cité ouvrière. C’est dans ce bourg où la seule activité concrète consiste à jouer aux cartes dans le bar de la place que deux hommes que tout oppose vont revenir et chambouler la vie assoupie de ses habitants.
L’un, Toto Wodjeck, est un tueur professionnel basé en Indonésie, chargé d’un contrat sur la personne du maire de Chanterelle, héritier de l’usine, mais aussi importateur d’ecstasy et en conflit ouvert avec son associé indonésien. L’autre, Michel Durand, est un policier d’Interpol, basé à Lyon, qui, ayant eu vent de l’arrivée en France de Wodjeck entend bien lui faire payer au prix lourd un vieux crime. Ils ont pourtant deux points communs qui remontent à leur enfance : tous deux sont originaires de Chanterelle et tous deux vouent une haine inextinguible à l’égard de Spätz, le maire, coupable selon Wodjeck de la mort de son père et selon Durand, à l’origine du suicide de son propre père, l’ancien directeur de la raffinerie. Deux hommes qui ont également d’autres contentieux à régler et dont on ne sait distinguer lequel est le plus dangereux.
Quand les raisons professionnelles et les haines personnelles se mélangent et s’attisent, le lecteur peut s’attendre au pire. Et là, il ne sera pas déçu.
En arrière-plan, une galerie de portraits peu flatteurs de personnages mesquins, lâches, rancuniers, sournois, dans un village où écrire des lettres anonymes fait également partie de la culture locale. Côté douceurs, une jeune femme, Marjolaine, qui rêve de trouver l’âme sœur sur Internet, un chat borgne et galeux qui sait d’instinct trouver refuge auprès de la seule personne capable de le protéger et de le nourrir, une jeune handicapée mentale, Marie-Madeleine, fruit des rapports entre sa mère et l’ancien curé, qui, comme le chat, sait d’instinct faire le tri entre les presque bons et les vrais méchants. Des « douceurs » qui n’attendriront pas une folie meurtrière peu embarrassée de considérations morales et éthiques.
La Reine Noire est un roman d’une efficacité particulièrement diabolique. Une efficacité qui tient à une intrigue retorse et bien ficelée, au soin pris par l’auteur, à l’instar d’un Dashiell Hammett ou d’un Richard Stark, d’éradiquer au maximum l’émotion au profit de l’action, en mettant en scène des personnages froids, voire cyniques.
On ne peut guère imaginer qu’il s’agisse d’un simple clin d’œil, si dans les dernières pages du roman, Pascal Martin introduit une référence au livre Fatale de Jean-Patrick Manchette, grand admirateur de Hammett. Du maître du néo-polar, l’auteur s’inspire de la dimension sociale du contexte, s’appuie sur une approche comportementaliste de ses héros, mais surtout s’imprègne à merveille des figures de style de l’écrivain :
– Des premières phrases de chapitres laconiques et factuelles, « La BMW noire filait sur la route à grande vitesse » (p.5), « Le bar était silencieux » (p.8), etc.
– Un rythme ternaire, ponctué de simples virgules, « Il se leva, s’avança vers Durand, main tendue » (p.21), « Durand but son café, sortit de l’auberge, se mit au volant de sa voiture » (p.87), etc.
– L’emploi intensif du verbe être, « Il faut dire qu’au temps de sa splendeur, La Reine Noire n’était pas une simple usine, c’était une sorte de temple où tous les habitants venaient communier. Être licencié de la raffinerie, c’était plus que perdre son emploi, c’était perdre son âme. Les conditions de travail étaient très pénibles, le Pasteur en était conscient » (p.82), etc.
– L’humour sarcastique, « Il sourit, se pencha pour l’embrasser. Lorsqu’il fut en face d’elle, elle lui cracha en plein visage en poussant un cri de triomphe. Alors Wodjeck fut certain que sa mère l’avait reconnu » (p.186).
– Des dialogues secs, colorés parfois d’une trivialité assumée, qui font mouche.
Un faisceau de similitudes qui ont de quoi donner des arguments solides aux adeptes de la réincarnation.
Pascal Martin nous livre donc ici un roman « manchettien » incisif, qui file à 200 à l’heure et laisse dans son sillage le sentiment d’avoir été littéralement happé par l’histoire et l’envie irrépressible de retrouver le personnage de Wodjeck dans de nouvelles intrigues.
Catherine Dutigny
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