La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette, illustré par Christian Lacroix (par Jean-Paul Gavard-Perret)
La Princesse de Clèves, illustré par Christian Lacroix, octobre 2018, 208 pages, 42 €
Ecrivain(s): Madame de Lafayette Edition: Gallimard
Christian Lacroix « lecteur » de la Princesse de Clèves
Comme tout gamin des années 60 un peu curieux de littérature (ce qui était fréquent à l’époque), Christian Lacroix est fasciné par la collection Blanche de Gallimard et par le naissant Livre de Poche. La plupart des garnements frustrés élurent dans cette édition bon marché L’Amant de Lady Chatterley. Le texte portait en lui des émancipations érotiques. Christian Lacroix était-il plus sage ? Sans doute puisqu’il fut plus ému par La Princesse de Clèves et son crève-cœur.
En guise d’hommage à cette émotion première, il investit la Collection Blanche pour sa « lecture » de ce texte magique.L’artiste prouve que dans ce livre les raisonnements ne roulent pas exclusivement sur le critère de la Vraisemblance. Pour lui le récit est bien plus que le médium d’une discussion philosophique mondaine. Et l’œuvre possède une portée contemporaine en exprimant des préoccupations féminines et/ou féministes. Lacroix l’a bien compris : d’où sa volonté de réactualiser l’œuvre. Il en retient le « symptôme » qu’il magnifie avec drôlerie au sein de ses « princesses ».
C’est là tout le charme d’une œuvre rare. Les cartes du tendre y sont faussées. Il s’agit plus d’une question d’ensevelissement que de prise là où tout reste en obscure clarté colorée et enjouée. Nous voici presque malgré nous ramenés à un espace de la déposition s’agissant du corps en tant qu’objet de perte et de résurrection. Le secret vient une fois de plus affirmer son autorité car il est au bord du corps.
Mais de quel corps s’agit-il ? De qui est ce corps ? Voilà les questions dangereuses puisqu’il s’agit de celles de l’identité. En les posant à travers Madame de Clèves, Lacroix, pareil au jeune Igitur de Mallarmé descendant « le caveau des siens », s’introduit dans le temps où le « moi pur » veut se confondre avec celui d’un autre temps à travers cette Princesse exposée à la réminiscence du vide sépulcral mais aussi au désir.
Devant elle il est ravi. Mais il la rapproche de notre époque qui semble fausser les cartes. Dès sa première lecture, Lacroix comprit qu’il s’agissait d’une question sinon d’ensevelissement du moins de prise.
Toutefois, à travers cette approche, la question de l’être reste celle du mystère, du secret comme lorsque le phallus s’enfonce et joue dans la crypte ouverte faisant du vide un plein et de deux amants les gisants de l’apparentement. A partir de là le voyeur croit voir le jour. Mais il perçoit à travers les interventions du plasticien un corps non fantasmé mais celui qu’il fantasme forcément puisqu’il y est peu ou prou invité.
L’artiste place ses folles envolées là où les ombres passent et disparaissent. La Princesse réinvente le secret, le tombeau, la solitude. Mais soudain le voyeur ne peut plus sortir de la crevasse lumineuse que fait l’image lorsque Christian Lacroix l’ouvre et que le premier tombe dedans. S’instruit un dialogue « amoureux » dans lequel la distance joue son rôle et arrache le roman au barbouillage psychologique au profit du décryptage tel qu’il fut vraiment et tel qu’il demeure.
Jean-Paul Gavard-Perret
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