La plus haute réussite de l’Occident sur les « Arabes »
Nuit éclairée et douce à Bellinzona. Capitale minuscule du Tessin, la Suisse italienne. L’été n’est pas encore clos par les feuilles mortes et les vestes. Des gens se promènent au sortir du théâtre où un groupe targui avait donné spectacle. Un jet d’eau sombre et argenté éclaire l’obscurité. Des gens qui déambulent sur des gazons. C’est l’Occident dans toute sa verdure, juché sur le dos de la terre, calme, riche et béni par les dieux de sa raison et de son culte de l’exactitude et de l’effort. Ce qui frappe ? Pas l’absence des sachets bleus, fruit de notre conception détestable de l’environnement. Pas les voitures qui s’arrêtent au passage du piéton qui, ici, a les droits du roi. Pas les rues belles et l’air propre qui ressemble à un dessert et rajeunit le poumon.
C’est autre chose, à chaque fois vécue, subie mais toujours étonnante pour nous peuple des autrefois : le rapport entre l’homme et la femme. Serein, calmé, égal. Les deux sexes se côtoient sans être obsédés par les jeux de domination, de violence, de préséance. L’enjeu n’est pas de se vaincre l’un par l’autre. Ce n’est pas un rapport de force. La femme n’est pas traquée, recluse, accusée d’avoir un corps et désirée parce qu’elle n’a qu’un corps. Elle n’est pas obsession et l’histoire n’est pas préhistoire. On l’oublie mais c’est ce qui fait la force de l’Occident : la moitié de sa population n’est pas une honte, un butin ou une humanité de seconde zone, faite pour la procuration et le rapt.
L’Occident n’a pas réussi l’égalité avec les hommes du monde mais il a réussi l’égalité entre l’homme et la femme. Cela lui donne un air reposé, juste, calmé. Il ne promène pas une peine ou une frustration comme nous tous. Et cela frappe l’étranger de nos terres sur les terres de l’Occident que ce lien qui n’est pas entrave. La femme étant libre, l’homme y perd la grossièreté de la bête, sa préhistoire devient histoire, il regarde plus loin que son instinct, se libère, en devient serein et fort et n’enferme pas son honneur dans le sexe et la domination mais dans la victoire et la réussite. Du coup, en se promenant dans ces rues du pays des autres, on redécouvre brutalement ce qui chez nous nous tue, nous blesse et nous torture : on veut la totalité de la vie avec la moitié de notre humanité. Chose impossible. Le nœud de notre malheur est la femme. Pas parce qu’elle est femme mais parce que nous le lui refusons et nous lui refusons de l’être avec nous et donc nous refusons notre propre possible humanité. Aucun peuple n’avancera vers la paix s’il ne fait pas la paix avec ses femmes et si celles ci ne se battent pas pour libérer les hommes de leur misère. C’est le mot qui résume le plus nos sensations quotidiennes : une misère sourde qui mène à la colère et à la violence puis au meurtre parce que le lien le plus profond est malheureux. Tout le reste n’est que symptômes peut-être.
Kamel Daoud
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