La pluie à Rethel, Jean-Claude Pirotte (par Philippe Leuckx)
La pluie à Rethel, septembre 2018, 176 pages, 7,30 €
Ecrivain(s): Jean-Claude Pirotte Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
Publié la première fois en 1981, aux éditions Luneau Ascot, le récit de Pirotte mêle, dans un délicieux amalgame, le roman d’un écrivain se regardant écrire, et les aventures autobiographiques de l’auteur, jouant des deux registres pour mener par le bout du nez son lecteur.
Le titre, qui s’éclaire à la page 78, restitue certes un climat, une atmosphère, celle d’une petite ville de province aussi stérile pour le narrateur que ce qu’il semble relater, mais aurait pu donner « L’homme qui se souvient écrit ».
Jean, Jan par le passé hollandais, arrivé à Rethel et au moment de sa vie où il pense devoir sacrifier à la mémoire, surtout amoureuse, et latéralement amicale et soulographique. Les prénoms féminins, Mina, Virginia, Mara, les trois C. ponctuent un parcours circonstancié : les canaux, les bords de mer de la Gueldre, les berges d’Amsterdam, qui ménage aussi des étapes plus anciennes encore quand le narrateur, déjà épris de voyages et de baguenaudes, menait à 15-16 ans des jours de « fraude ».
Le « récit », composé, au présent et au passé, tire tout son intérêt de ces allers-retours, entre mémoire et « pluie » de Rethel, dans une chambre obscure d’une ancienne cartonnerie. Pirotte aime assez, à l’instar de Dhôtel, ces endroits délavés, sinon glauques, où pousse la poésie entre les pierres des usines.
Le narrateur fête la femme, semble ne vivre que pour elle, collectionne les modèles, et raconte par le menu ses intimes expériences, assez osées pour cette époque (1981) d’écriture. Le style de Pirotte élève les coucheries au rang des beaux-arts, et sa phrase, tenue au cordeau, déroule par variations, l’air de rien, ses métaphores, ses descriptions naturalistes, ses dérives poétiques. Le poète sans cesse cogne à la fenêtre et la lecture prélève au réel nombre de moments de pure jubilation. De quoi échapper à l’odeur de bauge et de solitude dans l’étroitesse des lieux ardennais. Il y faut mettre un brin de Hollande, l’âme des gorges bien arrosées, l’épice d’une mémoire bien sévère avec lui-même, beaucoup moins avec les belles amoureuses.
« Dans le logement la vie s’éclipse » : l’apologue murmure le livre en train de s’écrire, quoiqu’il y ait bien de l’embarras à le coucher sur papier au milieu de toute cette pluie. Et le plaisir d’écrire – ces très longues phrases proustiennes de remémoration au-delà des huit lignes – interrompt la nauséeuse misère : « Revenir en arrière », évoquer « mes randonnées cyclistes », « le charme immense de mes journées ». Eh ! oui il y a, chez Pirotte, de l’errance heureuse même au cœur de la « pluie des fêtes foraines ».
En soixante livres, l’auteur belge a imposé une langue, un territoire, et cette Pluie à Rethelin augurait bien le parcours d’un écrivain gagné par le vagabondage, la boisson et les poisons de l’écriture. L’auteur s’est éteint en 2014.
Philippe Leuckx
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