La playlist des philosophes, Marianne Chaillan
La playlist des philosophes, janvier 2015, 307 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Marianne Chaillan Edition: Le Passeur
Dans la lignée de Rock’n Philo de Francis Métivier, l’esprit Pop philo continue à frapper fort avec un nouveau titre, La playlist des philosophes, qui fait le pari audacieux d’expliquer les grands concepts philosophiques à partir de chansons de variétés. Plus besoin désormais pour les futurs bacheliers de lâcher leurs écouteurs pour réfléchir et réviser leurs cours de philosophie. Leurs MP3 vont les aider à sortir de leur caverne et à « kiffer » la philosophie platonicienne avec Starmania, voire même comprendre la philosophie ardue de Heidegger avec Alain Souchon !
Philosopher grâce à Céline Dion et à Stevie Wonder ? Certains vont en tomber de leur chaise pour s’écraser dans la théorie de la gravité (sous le poids de la lourdeur de leur sérieux). Comme le dénonce ironiquement Marianne Chaillan, « Aimer la chanson de variétés semble bel et bien constituer un signe extérieur d’affliction culturelle ». Pourtant, cette « affliction culturelle » invite aussi bien les connaisseurs de la philosophie que les néophytes à ré-interpréter en musique leurs idoles de la pensée ou à faire « raisonner » autrement les tubes que l’on fredonne à tue-tête sous sa douche. En somme, faire « varier » son approche grâce aux vibrations de la variété.
N’est-ce pas en effet surprenant de discerner dans Elle me dit, de Mika, l’ombre de la philosophie Nietzschéenne, celle de l’homme fort attaqué par les faibles ? Ou encore dans la chanson Carmen, de Stromae, la dénonciation de « l’amour zéro risque » d’Alain Badiou : L’amour est comme l’oiseau de Twitter, On est bleu de lui seulement pour 48 heures, D’abord on s’affilie, ensuite on se follow, On en devient fêlé et on finit solo.
N’y a-t-il pas aussi plus belle illustration que la phrase Y a que les routes qui sont belles et peu importe où elles mènent, de Jean-Jacques Goldman, pour évoquer la théorie de Montaigne selon laquelle seule la route compte et non la destination ? Enfin, qui aurait cru que dans le Résiste de France Gall, qui vient d’être adapté en comédie musicale, s’y cache une théorie de Heidegger ! « Ça appelle » (Es ruft), comme dirait Heidegger ! Résiste nous exhorte à sortir en effet de notre existence inauthentique, du Dasein déchu. Enfin, ce livre nous permet de décoder des chansons en anglais que nous n’avons jamais cherché à comprendre… Tellement nous avons l’habitude de les entendre mécaniquement, nous laissant guider aveuglément par la mélodie. C’est le cas de Let it be des Beatles qui est bien plus profonde qu’elle en a l’air. L’auteur nous le prouve. L’ouvrage est organisé comme un IPod en différentes playlist. On peut sauter de playlist en playlist pour changer d’ambiance sonore ou philosophique : de la playlist de Nietzsche à celle de Sartre ou des Stoïciens, de celle du bonheur à celle de la foi. Le lecteur pourra y trouver également les bibliothèques de Stromae et de Jean-Jacques Goldman.
Au final, quelle playlist garder dans le hit-parade ? Celle de la morale est particulièrement intéressante car elle met en exergue le rôle moralisateur que joue en toute discrétion la musique de variétés. Sous son apparente légèreté, la variété vaporise de nombreuses injonctions moralisatrices et philosophiques. Grâce à Eminem, Marianne Chaillan nous explique efficacement la différence entre morale déontologique et celle conséquentialiste. Alors, la variété, moralisatrice ? En témoigne en tout cas le rejet intergénérationnel que vient de provoquer la dernière chanson des Enfoirés, Toute la vie, jugée trop donneuse de leçons. Morale de l’histoire, la variété peut déranger, comme la philosophie.
Un livre à conseiller à tous les futurs bacheliers et aux professeurs de philosophie souhaitant surprendre leurs élèves.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
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