La pétulante ascension de Benjamin Fabre, Fabrice Lehman
La pétulante ascension de Benjamin Fabre, avril 2014, 302 pages, 17 €
Ecrivain(s): Fabrice Lehman Edition: Jean-Claude Lattès
Benjamin Fabre est cadre chez Pelletier Consulting chez qui il s’occupe avec paresse de stratégies d’entreprises. Parallèlement il a écrit et remanié des dizaines de fois un roman dont il est très fier et qu’il rêve de voir publier. Il collectionne les lettres de refus. Aucun éditeur ne veut de son manuscrit, mais Benjamin Fabre, soutenu par son épouse, ne se décourage pas et il est prêt à tout pour y parvenir. Il va développer pour lui-même des stratégies de conquête plus ou moins adaptées.
L’écriture de Fabrice Lehman est sobre et efficace, son livre se lit vite et bien. L’insert des lettres de Tiphaine, qui ne réussit rien, à sa mère, sont excellentes grâce à une alternance des styles. C’est bien construit, c’est un bon moment de lecture. On ne boudera pas son plaisir en ouvrant ce livre dans un train ou sur un transat.
On peut le diviser en trois tiers.
Le premier, le plus drôle, nous explique l’ennui de consultant et les espoirs d’auteur déçus à chaque fois de Benjamin Fabre. Dans cette partie et dès le premier paragraphe, les stéréotypes du cadre d’entreprise qui se croit obligé d’user d’un langage abscons que ses pairs eux-mêmes ne comprennent pas toujours amuseront franchement ceux qui ont été dans ce cas tellement c’est réaliste. Et tous ceux qui collectionnent les refus des éditeurs y trouveront aussi leur compte. Il y a les romans de gare qui encombrent les têtes de gondole et font grincer des dents tous ceux qui espèrent être publiés, certains qu’ils sont d’avoir écrit quelque chose d’essentiel.
Le second tiers est celui de la pénétration du milieu de l’édition et des auteurs. Fabrice Lehman écorne le marketing et les éditeurs plus tournés vers l’adéquation d’un livre avec la demande du moment que vers la littérature. Finance oblige, on publie pour vendre, le reste n’a pas d’intérêt. C’est assez juste bien que ce ne soit pas toujours vrai, les entreprises de ce marché en mutation s’adaptent, hélas, pas toujours pour le bonheur de l’écrit. Force est de constater que les éditeurs qui acceptent mal la réalité commerciale de leur métier ont des difficultés de gestion. Son manuscrit est enfin accepté, pas pour ses qualités narratives, mais parce qu’il correspond à une attente du moment, attente mesurée avec précision par les enquêtes d’opinion. Deux mondes contraints de travailler ensemble s’opposent, celui du commerce et celui de l’art.
Jusqu’à la fin de ce second tiers, c’est jubilatoire grâce à la critique acerbe et pleine d’humour d’un monde auquel Benjamin Fabre n’adhère pas, et il n’est pas le seul. On se demande alors pourquoi cette dernière partie n’est pas de la même veine. Envie d’en finir, manque d’idées ? Pas manque d’imagination parce que les situations qui conduisent à la fin du roman sont originales jusqu’au burlesque. C’est fourmillant de descriptions amères des milieux de l’édition et du consulting puis ça tourne court dans les dénouements terminaux. Bien sûr le roman est le lieu de toutes les exagérations, de tous les contrastes, mais cette espèce de bouquet final dans lequel chacun retrouve une place plus conforme ne s’accorde pas avec la truculence des deux premiers tiers. C’est dommage et ça gâche un peu le plaisir sur la fin.
Gilles Brancati
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