La Petite Plage, Marie-Hélène Prouteau
La Petite Plage, éd. La Part Commune, septembre 2015, 128 pages, 14 €
Ecrivain(s): Marie-Hélène ProuteauEn une longue topographie presque amoureuse, disons solidaire, Marie-Hélène Prouteau élève une toute petite plage bretonne au rang des sites d’une vie. Tout y a été vécu, senti, donné, repris, comme un legs d’une résidence d’autrefois, comme celui de patientes générations de mer, comme celui, aussi généreux, d’une mémoire vive, féconde et soucieuse.
En une vingtaine de stations devant cette plage concrète ou symbolique, l’auteure ramène à elle des pans de passé, colorés, aigus, pleins d’algues, de goémons, des pas des aimés (ah ! la grand-mère et le souvenir blessé d’un oncle Paul perdu à cause de la guerre !). Elle rameute le doux des promenades, le « promenoir » des anciens qui lui ont appris un regard futé sur le monde des vagues, des chemins et des vents. Il y a du Sansot (Chemins aux vents) chez cette Bretonne, cette volonté d’asseoir dans sa prose légère et vivifiante des moments, des récits (on ne peut passer sous silence l’épisode de l’Allemand et du chien), des blasons d’un passé resté unique. Car il y a, c’est l’évidence, des leçons à prendre dans ces morceaux de plage, dans cette rumeur naturelle, dans cette enfance retrouvée (et combien d’épisodes du livre font mention des années soixante, de ce que l’enfant a pu conserver des usages et des modes et de l’histoire concrète). La plage, certes, est un personnage de premier plan, que l’on peut découvrir à la nage, dont on peut graver sur les laminaires les variations et l’intemporalité, que l’on peut garder au cœur « qui fait sécession ».
La « mangeuse de vent » relate, s’approprie, et transmet. L’œil, le corps et l’âme de la promeneuse de l’océan sait, ô combien, faire partager l’humeur d’un ciel, le hors saison, la leçon des rochers, celle aussi d’une nature sans cesse à conquérir dans le silence. Comme le compagnon, qui a tout largué, pour renouer avec la nature, rencontré sur les routes, l’écrivaine sait (et c’est peut-être un épisode à lire comme un apologue) qu’il y a là matière de vie, à saisir, à comprendre, à offrir (comme ce « don des morts » sallenavien) à l’autre, lecteur ou contemporain, puisque la nature sans cesse nous convainc de vivre, en dépit des doutes, des blessures et du temps qui ronge, même une petite plage.
Un beau livre, fervent et tout à la fois mesuré, à l’aune d’un style précis, économe, « au bord du chemin », aiguisé, qui nous entraîne à rouvrir les yeux sur un monde que la réalité embue et trouble. Et voir le monde du « divers », à l’image de Segalen, cité : en visant l’essentiel. L’auteure a réussi, de ce côté-là aussi.
Philippe Leuckx
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