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La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon

Ecrit par Victoire NGuyen 28.01.14 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman

La petite communiste qui ne souriait jamais, janvier 2014, 310 p. 21 € (14,99 € en version numérique)

Ecrivain(s): Lola Lafon Edition: Actes Sud

La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon

La fabrique des gymnastes machines

Pour Lola Lafon, son roman suit une trajectoire précise : écrire sur Nadia Comaneci, mais à sa façon sans que cela ne soit une biographie. D’ailleurs Lola Lafon le précise à Nadia :

« Lors de notre premier échange téléphonique, je précise à Nadia C. que ce récit ne sera pas forcément exact, je me donne le droit de remplir ses silences. Nous convenons que je lui enverrai les chapitres au fur et à mesure pour qu’elle donne son avis ».

Ainsi, dès le début, un contrat d’écriture est posé. Le roman prend en compte le témoignage de la concernée sur les événements qu’elle a vécus, mais Lola Lafon se donne le droit d’intervenir dans son récit pour retoucher certains détails, compléter la version de Nadia ou encore la confronter à celles des journalistes ou historiens sur la Roumanie sous Ceausescu et sa prise de position vis à vis du régime. L’auteur veut avant tout maintenir son récit dans une certaine objectivité. Elle cherche à détruire l’icône de la gymnaste pour retrouver sous le masque de cire la jeune femme complexe et ambiguë. Sa mission est d’éviter l’hagiographie. Ainsi, Lola Lafon réussit sa deuxième mise au point : un pacte de lecture avec son public.

Dans ce dernier opus, La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon centre son récit sur la vie de Nadia Comaneci, la très grande gymnaste roumaine qui a étonné le monde entier avec sa note de 10 lors des épreuves olympiques le 17 juillet 1976 :

« Le public s’est levé et de leurs dix-huit mille corps provient l’orage, leurs pieds grondent rythmiquement au sol et le Suédois dans le vacarme ouvre et ferme la bouche, il prononce des mots inaudibles, des milliers de flashs forment une pluie d’éclats inégaux, elle entrevoit le Suédois, que fait-il, il ouvre ses mains et le monde entier filme les mains du juge vers elle. Alors, la petite tend ses deux mains vers lui, elle demande confirmation, c’est un … dix ? ».

Lola Lafon a su tenir le lecteur en haleine. Elle rejoue par sa description la scène d’angoisse qui a su tenir le public en haleine. C’est aussi une scène qui rend hommage à la petite fille et à son extraordinaire performance gymnastique. En effet, Nadia Comaneci, qui était la première à avoir la note 10, a ainsi déréglé l’ordinateur des juges et a affolé les logiciels les plus sophistiqués du moment : « La gamine a défait l’ordinateur ».

Cependant, le lecteur ne reste pas longtemps dans l’euphorie car Lola Lafon s’emploie à disséquer l’événement olympique et à le ramener à la lumière des coulisses de l’entraînement de Nadia Comaneci. Elle met en exergue les entraînements surhumains des gymnastes sous le régime communiste qu’ils soient roumains ou russes. Pour cela, elle va s’emparer de Nadia, devenue une icône. Méthodiquement, elle va dans la première partie de son roman s’employer à montrer à ses lecteurs la vie de la championne loin des lumières des flashs et des interviews. La puissance de la jeune fille se fait au détriment de son corps, malmené, brisé, martyrisé et méprisé aussi bien par Nadia que par son entraîneur, le fameux Béla Karolyi :

« Le lendemain matin, le réveil sonne à 5 heures. La tête lourde et les mollets raidis par un entraînement bâclé sans étirements, sans avoir pu boire l’eau nécessaire, elles se succèdent aux barres, à la poutre. La fatigue fait remonter le cœur dans la gorge. Cette chose qu’on croyait réglée et qui resurgit brusquement au moment d’empoigner les barres, ces images interdites, genou tordu, ligaments déchirés, le bruit des os contre la poutre, crâne, vertèbres, la terreur leur assèche la bouche. A la tombée de la nuit, elles éteignent la lumière sans se parler, douloureusement acculées à un corps malmené et rétif ».

Ce dernier roman est un récit qui dénonce la violence des entraînements. Ceux-ci repoussent sans cesse les limites humaines allant jusqu’à encourager les figures E, les plus dangereuses pouvant provoquer la mort ou la paralysie à vie. On l’aura compris, l’enjeu est au-delà du sport. Entre en compte la rivalité avec l’URSS, le grand frère communiste. Mais l’exploit de Nadia traduit en soubassement un défi lancé par l’Europe de l’Est à l’Occident. C’est que nous sommes en pleine Guerre Froide.

Le roman est donc complexe car il traite aussi, au travers de Nadia la championne puis la réfugiée politique, transfuge vers l’Ouest, les relations internationales de l’époque et la dictature sous Ceausescu.

En conclusion, le lecteur passionné par l’histoire du XXème siècle ne pourra que trouver son bonheur au fur et à mesure de sa lecture. Celui ou celle qui a eu la chance de vivre en direct ces événements olympiques de 1976 trouve ici l’envers du décor qui ne peut que lui donner une vision plus globale des jeux. Il comprendra alors pourquoi la petite fille ne souriait jamais …

 

Victoire Nguyen

 

Lire la critique de Laurence Biava sur le même livre


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A propos de l'écrivain

Lola Lafon

 

Lola Lafon est née en 1975. Elle est écrivain et musicienne. Elle a déjà écrit trois romans publiés aux éditions Flammarion. Ce dernier opus La petite communiste qui ne souriait jamais est paru chez Actes Sud.

 

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.