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La nuit se lève, Elisabeth Quin (par Marianne Braux)

Ecrit par Marianne Braux 22.03.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Grasset

La nuit se lève, Elisabeth Quin, Grasset, janvier 2019, 144 pages, 15 €

Ecrivain(s): Elisabeth Quin Edition: Grasset

La nuit se lève, Elisabeth Quin (par Marianne Braux)

 

La nuit se lève sur le monde d’Elisabeth Quin. Atteinte d’un glaucome depuis plusieurs années, la journaliste et écrivaine raconte dans cet émouvant récit au titre évocateur ses peurs, son parcours du combattant avec les médecins et ses espoirs, le tout parsemé de citations issus d’ouvrages touchant à la cécité, de textes d’auteurs et de mythes antiques. Le résultat est poignant. L’écrivaine ne semble pas avoir cherché à faire un beau livre ; la langue est directe et personnelle, proche du journal intime, comme l’est le rythme qui fait entendre son souffle, à la fois inquiet et déterminé, paragraphe après paragraphe. Y est tenue la promesse que l’auteure s’était faite : écrire en se mettant à nu.

Présent et futur irriguent principalement le récit. Peu de souvenirs d’enfances, peu d’images dans lesquelles Quin chercherait à donner rétrospectivement un sens à son existence à l’aune de la maladie. La nuit se lève n’est pas la confession nostalgique d’une personne accrochée au passé. Beaucoup de descriptions en revanche, et de questions, à propos du quotidien qu’il lui faut d’ores et déjà réinventer et qu’elle ne peut s’empêcher d’anticiper, lorsqu’il deviendra vraiment difficile : comment prendre une douche ? Pourra-t-elle encore nager ? Comment une aveugle s’envisage-t-elle jour après jour, sans reflet ? Aura-t-elle encore du désir pour l’homme qu’elle aime et qu’elle ne pourra plus voir ?

La dernière interrogation est pour Quin l’occasion de formuler avec une grande subtilité le temps dans lequel elle se tient en ce moment, à force de penser à l’avenir : un étrange futur antérieur dans lequel François et moi aurions été nus sur le lit, moi aveugle, lui non. Mais dans l’emploi du conditionnel, on voit que l’auteure se laisse malgré tout le bénéfice du doute comme dans cette très belle phrase sur laquelle se referme le récit : A moi les visions intérieures illimitées, et ta main gracieuse, François, pour m’aider à traverser, si besoin est.

Ces visions intérieures illimitées auraient pu servir de sous-titre au livre. A de nombreuses reprises en effet, Quin partage avec le lecteur la nouvelle présence au monde que lui annonce la maladie et dont elle commence déjà à faire l’expérience. Il est connu que la perte d’un sens exacerbe les autres. Dans le cas de la cécité, l’odorat, l’ouïe, le toucher viennent prendre le relais en donnant au corps de l’aveugle une force nouvelle et en l’ouvrant à une autre dimension de la vie. L’aveugle ne cesse pas de voir, il voit autrement. Il devient clairvoyant :

L’aveugle voit avec son corps tout entier, il capte, ressent, hume, entend, touche, devine. Incapables de comprendre l’univers parallèle dans lequel évolue un non-voyant, nous sous-estimons le potentiel de ce capteur prodigieux, le corps augmenté de l’aveugle. Un corps « voyant » auquel la compensation sensorielle offre une perception authentique de l’autre, saisi au-delà de l’enveloppe miroitante qui ensorcelle, distrait, détourne.

De ce corps augmenté, l’écrivaine nous donne un bel exemple, dans une lettre adressée à un ami où elle lui décrit à sa manière sa maison en Normandie, après qu’il lui a reproché d’en parler comme un agent immobilier :

Odeurs de rose, de seringa, de cire, de glaise, d’humus forestier, odeur ferrugineuse du sang dans les paumes des mains, […] pyramide de bûches sentant le champignon, le chien mouillé, le ciel d’orage, gémissements cauchemardesques de l’épervier, au-dessus de nos têtes […] L’ami me répond un peu plus tard qu’il voit la maison.

Mais Quin ne se voile pas la face. Elle sait aussi ce qu’elle perd en perdant la vue, elle ne veut pas la perdre : Ecrire sur la maladie est une lutte contre la honte, le déni, la peur : Ce combat me coûte et je prétends être payée en retour. […] Ecrire, y croire.

On ne peut que souhaiter à Elisabeth Quin de recevoir, en retour de ce livre courageux et d’une touchante sincérité, une rémission. Et si cela s’avère impossible, une traversée de la nuit en pleine confiance. Dans tous les cas, qu’elle sache qu’elle aura gagné au moins une chose : la reconnaissance de ses lecteurs qu’elle aura fait entrer, le temps de quelques pages, dans l’univers parallèle des malvoyants pour les éblouir d’impérissables visions intérieures.

 

Marianne Braux

 


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A propos de l'écrivain

Elisabeth Quin

 

Élisabeth Quin, née le 23 mars 1963 à Paris, est une journaliste française. Elle est l'auteur de plusieurs livres et collabore régulièrement à la presse écrite.

 

A propos du rédacteur

Marianne Braux

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Marianne Braux est docteure en littérature française et enseignante de français à Adélaïde en Australie.