La nuit myope, A.D.G
La nuit myope, mars 2017, 112 pages, 5,90 euros
Ecrivain(s): A.D.G. Edition: La Table Ronde - La Petite VermillonSur la présentation de sa page facebook, La petite vermillon annonce sa ligne éditoriale ainsi : « Exigeante et frondeuse, la petite vermillon, collection de poche de La Table Ronde, arpente depuis quinze ans, sans préjugés ni exclusive, tous les champs de la littérature et des sciences humaines ».
Exigeante, frondeuse et sans préjugés sont autant de qualités qui cadrent à la perfection avec la nouvelle publication de l’un des romans – ici plutôt une novella – d’A.D.G., La nuit myope, publié en 1981 aux Éditions Balland, puis réédité en 2003 chez Durante Éditions.
L’auteur de romans policiers qui en 2003 à la sortie de son livre Kangouroad Movie déclarait selon l’article de Bruno Icher dans Libération du 15 mai 2003 : « J’avais très mal pris de ne pas être réédité pour le cinquantenaire de la Série Noire, moi, un des seuls auteurs à lui être toujours resté fidèle. Alors, parano aidant, j’ai décidé de fabriquer une supercherie : un polar australien, traduit par mes soins. Comme ça, pour les emmerder », retrouve par l’intermédiaire de La Table Ronde une place de choix chez Gallimard. Par l’intermédiaire également et surtout de l’écrivain Jérôme Leroy, auteur de la quatrième de couverture, auquel La petite vermillon a donné « carte noire » pour la réédition de ses coups de cœurs.
Un livre qui effectue donc un retour appréciable sur les rayons des librairies, avec une couverture brillamment illustrée par Stéphane Trapier.
Un « comebaque » attendu si l’on se souvient qu’à la fin des années ‘70, A.D.G. était l’un des chefs de file avec bien entendu Jean-Patrick Manchette de ce que l’on a appelé le néo-polar. Un genre littéraire comptant des plumes exceptionnelles comme par exemple celles de Thierry Jonquet, Jean Vautrin, Hervé Prudon, Jean-François Coatmeur, Pierre Siniac, ou plus tard Didier Daeninckx, pour ne citer que ceux-ci.
Il est vrai qu’A.D.G., acronyme du pseudonyme Alain Dreux Gallou, de par ses positions réactionnaires, ses accointances avec l’extrême-droite, ses collaborations aux journaux Minute et Rivarol, s’était taillé au fil des années, en parallèle d’une notoriété non usurpée d’orfèvre du polar, le costume sur-mesure du mec infréquentable.
La nuit myope n’est pas un roman policier, à peine un roman noir. Cette longue nouvelle narre les tribulations dans un Paris nocturne de Domi (diminutif de Domino), directeur commercial d’une entreprise qui vend des paquets-poste. La trame de l’histoire est aussi simple que rocambolesque. Domi vient de passer la soirée avec des collègues dans une boîte de nuit où il a fait la rencontre d’une jeune femme séduisante, Armelle, qui lui a laissé ses coordonnées sur un paquet de Gauloises. Totalement imbibé, il rentre chez lui, casse un verre de ses lunettes et décide de retraverser à pied la capitale pour rejoindre la belle et l’entraîner avec lui dans les Cévennes sur les traces de Stevenson, après avoir récupéré une autre paire de lunettes à son bureau, en compagnie de son chien Laskar, le tout à cinq heures du matin.
Ce court récit fut salué dès sa sortie en 1981 par les critiques comme une réussite littéraire. Dans cette centaine de pages on trouve un condensé du style d’A.D.G. au meilleur de sa forme. Ironique, tendre, élégant, poétique, affirme Jérôme Leroy en quatrième de couverture, et l’on acquiesce à son jugement sans hésiter un seul instant. On retiendra aussi le recours habituel de l’auteur aux jeux de mots, aux calembours, à la francisation cocasse de tous les termes anglo-saxons (cartoune, ouisquie, slove, bloudjine, boutses, etc.), à l’usage dosé de mots rares, à l’invention d’adjectifs, à l’autodérision, le tout servi par un sens aigu de l’observation et une plume qui mélange avec naturel le populaire et la veine poétique.
« …/… marcher dans la nuit, sous la bruine, en n’y voyant que dalle était une expérience où l’esthétique des visions inhabituelles le disputerait joyeusement au péril accepté d’être écrabouillé par un chauffard », p.37.
Une enveloppe gaie pour des pages parfois désenchantées où le héros, grand rêveur myope, vit à l’étroit dans une société où la communication, voire les sentiments sont des leurres, où l’aventure ne peut se vivre qu’ailleurs (A.D.G. partira en 1982 non pas dans les Cévennes, mais en Nouvelle-Calédonie), où la solitude ne supporte que la compagnie fidèle d’un chien et où la littérature se la pète avec le plus-que-parfait du subjonctif.
« Nous aurions franchi le seuil que nous nous fussions trouvé au centre d’un crachin enveloppant qui irisait les grosses ampoules municipales. Nous eussions constaté, Dieu merci, une circulation réduite, un bitume gluant, des caniveaux louches. Nous eussions autant bu que Domi, les ombres houppières des arbres du square auraient été de semblables et menaçantes et informes potences. Et d’abord nous plus-que-parferions moins du subjonctif », p.38.
À l’aune de ce que l’on sait ou croit savoir sur la vie d’A.D.G., il n’est pas interdit d’interpréter La nuit myope comme une métaphore de la personnalité de l’écrivain englobant beaucoup de ses contradictions. Un œil précis et critique, l’autre plongé dans la brume, l’approximatif et la rêverie. Une quête d’évasion et une fascination rémanente pour l’échec. L’addiction au tabac, à l’alcool et une quête vitale d’espace de liberté. Le goût du calembour ou de la vanne potache et la sacralisation du langage châtié, etc.
Ce grand admirateur d’Antoine Blondin, de Marcel Aymé, d’Albert Simonin, de Sacha Guitry, d’Alphonse Boudard et de Jacques Perret, méritait amplement, treize ans après sa disparition, que l’on distinguât l’anarchiste de droite de l’écrivain pétri de talent en rééditant La nuit myope. Un livre exempt de toute prise de position nauséabonde. À lire, sans la moindre incertitude.
Catherine Dutigny/Elsa
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