La Neige de Saint Pierre, Léo Perutz
La Neige de saint Pierre, octobre 2016, trad. allemand Jean-Claude Capèle, 240 pages, 9,95 €
Ecrivain(s): Leo Perutz Edition: Zulma
C’est un roman qui frôle le fantastique, un peu à la manière de Borges qui admirait beaucoup Perutz. Le ton est parfois très malicieux, ainsi lorsque George Friedrich Amberg, personnage principal, attend impatiemment une jeune femme. « …Eh oui ! Le temps chausse deux paires de chaussures différentes, poursuivit le fantôme. Avec l’une, il boite, avec l’autre, il fait des bonds. Et aujourd’hui, dans cette pièce, le temps a chaussé ses chaussures de boiteux, il ne veut pas passer ».
Un jeune médecin se réveille dans un lit d’hôpital, il se souvient d’évènements passés que personne n’accrédite. « (…) j’avais l’impression de ne plus être là, d’être couché dans un lit d’hôpital quelconque ; c’était une sensation très concrète, je sentais quelque chose d’humide et de chaud sur le front et dans la nuque, et j’essayais de m’en saisir, mais soudain, je ne parvins plus à bouger le bras et j’entendis les pas feutrés de l’infirmière. Il semble qu’à ce moment là, j’ai eu pour la première fois la vision de l’état dans lequel j’allais me trouver à la fin de toutes ces aventures ».
Le lecteur ne sait pas s’il est dans le délire d’un esprit happé par la fièvre, dans un rêve ou dans une réalité manipulée. Ce vacillement rappelle à l’homme sa fragilité et la brume de la vérité. Georg Friedrich Amberg affirme l’importance du rêve en même temps que le danger qu’il peut représenter lorsqu’il est conditionné. « Pourquoi avez-vous pitié de lui ? lui demandais-je. Il est heureux. Il vit un rêve, et de cette façon, sa richesse est plus assurée que n’importe quelle autre. Car ce que l’on possède en rêve, une armée entière d’ennemis ne saurait vous le prendre. Sauf le réveil… Mais qui serait assez cruel pour le réveiller ».
Le baron Von Malchin veut que les paysans de son village retrouvent la ferveur religieuse ainsi que le goût de l’ordre et de l’autorité. « Je partais de l’idée qu’il devait exister des drogues capables de provoquer, individuellement ou collectivement, l’extase religieuse ». A l’aide de son assistante il invente un sérum qui pense-t-il va « guérir » la population. « Voyez-vous cette demeure ? C’est le Kyffhauser. C’est là que l’empereur secret vit dans l’attente. Je lui ouvre la voie. Et un jour, je dirai au monde les mots que le serviteur sarrasin de Manfred a adressé autrefois aux habitants de la ville rebelle de Viterbe : ouvrez vos portes ! Ouvrez vos cœurs ! Voyez, votre seigneur, le fils de l’empereur, est venu !». Tout le livre est traversé par le thème du double, on se sent soi-même troublé et perdu. Finalement où est « la vraie vie » ? Le suspense continue, même après avoir fermé le livre. « Soyez raisonnable, docteur : quand les médecins vous diront à nouveau que vous avez fait ce rêve de Mowede dans un état de somnolence, n’insistez pas, dites amen à tous leurs discours ».
Zoé Tisset
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