La naissance d’un père, Alexandre Lacroix (par Arnaud Genon)
La naissance d’un père, Alexandre Lacroix, Allary Éditions, août 2020, 461 pages, 20,90 €
Edition: Allary Editions
Le père, ce héraut…
La figure paternelle hante depuis son premier roman l’œuvre d’Alexandre Lacroix. Premières volontés (Grasset, 1998) commençait par l’image du corps du père du narrateur, pendant au bout d’une corde, et contenait l’histoire d’un pardon, celui d’un fils qui avait honte de l’avoir ainsi perdu, qui souffrait, dans une violence sans nom, de cet abandon. Dans la deuxième partie de L’Orfelin (Flammarion, 2010), le narrateur revenait à La Villedieu, la ville natale, pour faire l’inventaire, vingt ans après sa mort, des dix-sept cartons qu’avait laissés ce même père. Ce roman se clôturait par l’évocation de sa propre paternité. L’enfant était à son tour devenu père. La boucle, disait-il, était bouclée…
Comment Alexandre Lacroix aurait-il pu cependant s’arrêter là ? La paternité n’est-elle pas un sujet en or d’autant plus précieux que rares sont les écrivains à l’avoir exploré ?
La naissance d’un père. Le titre est déjà tout un roman mais aussi une théorie. Alexandre Lacroix est toujours, en même temps, écrivain ET philosophe. Ainsi, les presque cinq cents pages du roman sont-elles traversées par la question qui consiste à savoir ce qu’est être père. Elle est d’autant plus légitime que la paternité, même quand elle est un choix, ne dépend pas des hommes. Mathilde et Giulia sont ainsi les deux femmes qui l’accompagnent dans la naissance du père qu’il devient et qui, d’une certaine manière, le font, dans leur propre maternité, advenir comme père. Quelle est la place du père ? Celle qu’il s’accorde, celle qu’on lui accorde ? Celle qu’il prend ou celle qu’on lui donne ? Pour montrer la complexité du sujet, il n’est qu’à réfléchir sur le récit de la naissance d’un enfant que peut en faire son père. Alexandre Lacroix en relate trois sur les cinq enfants qu’il a eus. Les trois premières. Celle de Bastien, d’Andreano puis de Lucrezia : « je n’irai pas jusqu’à cinq, nous dit-il, car je dois quand même borner ma volonté de faire sauter les tabous masculins et de ne pas tomber dans l’excès inverse ». Les tabous masculins. Oui, il est bien question de cela : un homme est-il à sa place quand il rapporte des nouvelles « du front de la parturition » ? Que doit-il dire de ce qu’il voit, de ce qu’il se passe autour de lui, car après tout, cet accouchement n’est pas le sien, qui le fait pourtant naître comme père…
Alors qu’est-ce qu’être père ? Il y a la réponse triviale mais qu’il ne faut aucunement occulter à moins d’avoir sur le sujet un regard trop romantique. Être père, c’est changer des couches, c’est passer de longues heures dans des parcs où se trouvent des aires de jeux salvatrices, c’est jouer au cheval, faire l’épreuve de l’exténuation, être éducateur, professeur du dimanche, c’est se faire un sang d’encre (et même les écrivains n’aiment pas ça) quand l’enfant est malade, c’est trouver des activités pour occuper les longs dimanches d’hiver. C’est accepter ce quotidien et en faire une chevauchée, une aventure, une épopée. C’est faire comprendre à sa progéniture qu’être père, c’est l’être toujours, sans pause, que « c’est un engagement sans échéance ». C’est l’être en présence et en absence de ses enfants, quand, les sachant loin, le père « rassemble les membres épars d’Osiris » : « Cependant je reste père et, dans cette mesure, je sais où se trouvent les corps de mes enfants. Ces corps que je ne vois pas, je les devine et je les sens. Ils m’agrandissent. En même temps qu’ils me démultiplient et me dispersent ». En fait, avec la paternité, la boucle n’est jamais bouclée. Le livre ne se ferme pas, même une fois posé le point final, comme si l’histoire se poursuivait en l’absence de son auteur… C’est la leçon – s’il doit y en avoir une – de ce beau roman. Alexandre Lacroix dit, au plus près de lui, avec sensibilité, humour et justesse, qu’en matière de paternité il n’y a pas de règle, pas d’art poétique, pas de guide : « Nous n’avons d’autre possibilité que d’y avancer à pas lents, avec un sentiment de gratitude et d’effroi, et de visiter les pièces l’une après l’autre, de découvrir progressivement les circulations, les étages et les cours intérieures ». En fait, être père, c’est tenter d’écrire le roman de la vie de ses enfants, en espérant qu’il sera le plus doux possible.
Arnaud Genon
Alexandre Lacroix, né en 1975 à Poitiers, est écrivain, essayiste, journaliste, et Directeur de la rédaction de Philosophie Magazine. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres (romans, essais) parmi lesquels : Comment vivre lorsqu’on ne croit en rien (Flammarion, 2014), L’homme qui aimait travailler (Flammarion, 2015), Pour que la philosophie descende du ciel (Allary, 2017), Devant la beauté de la nature (Allary, 2018)…
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