La mort de près, Maurice Genevoix
La mort de près, La table ronde, "la petite vermillon", 141 p. 7 €
Ecrivain(s): Maurice Genevoix Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
« Une longue existence, lorsqu’elle approche de son terme, propose des perspectives plus spacieuses et plus simples, en quelque sorte désencombrées. »
C’est en ces termes que Maurice Genevoix, clôt son récit. Un récit qui paraît en 1972, alors que l’auteur est déjà âgé, et qu’il sent sa fin proche. Si « Ceux de 14 » était le récit cathartique du jeune normalien où le rythme du récit est lié au besoin de témoigner de l’horreur, « La mort de près » apparaît comme apaisé, débarrassé des scories de l’émotion, désencombrées dit-il. Et plus loin : « ce qui a compté s’affirme, s’impose, avec une évidence qui devient vite impérative, car la conviction l’accompagne que cet acquis ne nous appartient pas ». L’essentiel, voilà ce dont veut témoigner Genevoix. Foin des apitoiements, l’heure pour lui n’est plus à la plainte, à la dénonciation ou à l’expression de son indignation. Il s’agit plutôt de dire par le menu la souffrance, les blessures, la mort, à l’aide de descriptions minutieuses, l’écrit est plus méthodique, plus précis, au service de l’essentiel, de ce qui devra servir à la postérité.
Alors il faut dire la trajectoire précise d’une balle, qui devait le tuer, mais qui, par extraordinaire va ricocher sur un bouton métallique, ne provoquant que des éraflures. La chance de n’avoir été que très partiellement atteint se vit comme un sursis. D’autres en revanche n’ont pas cette chance, et nombreux sont ceux de ses hommes qui seront tués. La mort est présente partout, et chaque attaque, surtout celle défiant tout bien-fondé, toute logique, contre lesquelles il s’insurge, provoque des victimes en grand nombre.
« Je savais donc les façons qu’a la mort de banaliser ses atteintes, de semer les cadavres et de les transformer, peu à peu, en objets ordinaires, démythifiés de leur propre visage, des regards qui avaient croisé les nôtres, des voix que nous avions entendues »
Nulle fioriture dans les termes, nulle rage dans l’expression, simplement des phrases de ce type comme jetées à la face du monde pour montrer avec plus de force encore l’horreur, la souffrance, la bêtise…
La peur, aussi, en voyant "le premier qui n’avait plus de nez … Le second le suivait à quelques mètres. Une balle lui avait fait sauter la moitié inférieure du visage." La peur qui s’insinue et qui provoque des mutilations volontaires pour échapper au pire. Et on n’hésite pas : "Une pression sur la détente… Qui saura que cette balle dans son pied, c’est lui qui vient de la tirer ?"
Et au printemps 1915, la blessure, trois balles qui l’atteignent, l’attente, longue, très longue pour recevoir les premiers soins. La description des blessures témoigne encore de cette volonté de précision, le souci du détail pour mieux nous faire comprendre, jusqu’à inclure dans son propos des détails qu’on n’attend pas. Ainsi, alors qu’il est transporté sur une civière, sa souffrance décrite est-elle accompagnée du souvenir d’un ciel bleu, comme si ce détail était constitutif du moment, et ce, soixante ans après les faits. Ce court récit n’omet donc rien qui aura eu son importance et la concision laisse cependant sa place à la complexité de l’homme, à sa pluralité. C’est là tout l’intérêt de ce texte, comme celui de Gabriel Chevallier intitulé sommairement « La peur », qui nous rappelle aussi que de héros il n’y eut point, mais bien des hommes qui ont rapidement basculé dans l’horreur.
Guy Donikian
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