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La mère Michel a lu (2)

Ecrit par Michel Host le 30.09.11 dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques Ecritures Dossiers

La mère Michel a lu (2)

(Photo Yves Marty)

 

L’ARGOT EST NÉ DE LA HAINE !

LOUIS-FERDINAND CÉLINE


Proposé par Raphaël Sorin. Notice biographique de Bernadette Dubois. André Versaille éditeur, Coll. À offrir en partage, n° 48, 2011, 95 pp., prix non indiqué.

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L’argot… quel argot ? Mis en jeu de quelle façon ? Dans quelle intention ? L’argot chez Céline, souvent prétexte à le lire avec passion, ou au contraire à ne pas vouloir le lire. - « Vulgaire ! » - Qualificatif disqualifiant le plus utilisé par les esprits superficiels ou guindés. À la vérité, dans ce recueil de lecture très plaisante il est assez brièvement question de l’argot et bien davantage du style, préoccupation centrale chez l’auteur du « Voyage ». En témoignent sa « petite musique », son « métro émotif », qu’il mettait bel et bien au-dessus du récit ou de l’intrigue. Qu’on relise à ce sujet ses « Entretiens avec le professeur Y ».


Le style, donc ! Raphaël Sorin a rassemblé en un ensemble fort stimulant pour l’esprit les déclarations, interviews, enregistrements radiophoniques et articles céliniens datant des années 30 à 50 du siècle précédent. Raphaël Sorin, homme dont la Mère Michel aurait meilleure idée s’il n’avait  - dans un autre temps, « petit prof épinglé » à son tour (qu’il explore sa mémoire si d’aventure il nous lit !) -  pour faire le malin, voire l’intelligent, devant ses compères de la chronique du vide, donné des avis peu élégants, tout imprégnés du conformisme crasseux du milieu littéraire parisien de ces trente dernières années. Quoi qu’il en soit, l’idée de ce recueil reste utile et son initiateur, pour manquer lui-même de style, nous aura donné ce qu’il peut de mieux avec elle et aussi son soutien à la publication de l’œuvre de Michel Houellebecq. Bonne initiative donc, et qui plus est aux moments où vient de paraître dans la Bibliothèque de la Pléiade l’édition des Lettres de Céline établie par Henri Godard et Jean-Paul Louis, où l’on trouvera cent allusions et réflexions touchant au style !

Par exemple, ce plaidoyer en faveur du « rendu » émotif : « Le fait que vous me trouviez styliste me fait plaisir. Je suis cela avant tout  - point penseur nom de Dieu ! ni grand écrivain mais styliste je crois l’être. Mon grand-père était professeur de Rhétorique au Havre. Je tiens de lui sans doute cette adresse dans le « rendu » émotif, un mitron de mots comme disent mes ennemis. Je suis bien l’émotion avec les mots je ne lui laisse pas le temps de s’habiller en phrases  - car le fond de l’Homme malgré tout est poésie. » De Copenhague, où il était assigné à résidence et sous menace d’extradition, en avril 1947, Céline adressait ces réflexions à Milton Hindus, professeur américain passionné par son œuvre. Il est amusant de le voir - vraie, ou plus vraisemblablement fausse naïveté - se référer à la rhétorique et à l’université qu’il abhorrait, pour donner poids à son argumentation, et se fonder ensuite sur la poésie, démontrant une vraie profondeur dans le jugement.

Puis le 22 octobre de la même année, à André Billy, à la suite d’un article de celui-ci paru dans Le Figaro littéraire, il envoie quelques rafales d’une ponctuation toute personnelle (la ponctuation ! l’une de ses armes les plus efficaces) alors même qu’il construisait à la fois son système de défense contre les accusations dont il était l’objet et s’en prenait aux jalousies littéraires selon lui à l’origine de telles accusations :

« Mais non, satané damné vieux con, ce n’est pas de grossièreté qu’il s’agit, mais de transposition du langage parlé en écrit !

Vous dire merde, ce n’est rien… Vous botter le cul pas grand-chose… mais faire passer tout ceci en écrit, voilà l’astuce… l’impressionnisme !

Ah ! que vous êtes loin du problème. Allez, signez des listes noires ! des proscriptions, mouchardez ! fliquez ! bourriquez ! Vous n’êtes bon qu’à ça ! »

On comprend bien que Céline, dans ses cauchemars danois, voyait se dresser son poteau d’exécution, mais aussi que la question du « style » n’entrait pas pour rien dans l’exécration dont il était l’objet.

Puisque de « grossièreté » il vient d’être question, quelques mots de l’argot. Céline s’en explique dans un article publié dans Arts (6-12 février 1957) : « … Non, l’argot ne se fait pas avec un glossaire, mais avec des images nées de la haine, c’est la haine qui fait l’argot. » Mais où cette haine prend-elle sa source, se demande-t-on ? Céline répond : « L’argot est fait pour exprimer les sentiments vrais de la misère. » (p.84) Tout est dit en douze mots, et c’est sans doute ce que n’ont pas pu comprendre, ni même deviner, les tenants du « langage mort » (p.37), de la langue académique, de la langue du « bachot », des prétoires et de la Sorbonne, de la langue de La Revue des Deux Mondes, de la belle langue figée depuis Amyot, traducteur de Plutarque, celle de Voltaire, Marivaux, Paul Bourget, Anatole France… (p.19) Céline signe ensuite le certificat de décès de l’argot, affaibli et délégitimé parce que « Dans les prisons d’aujourd’hui on file doux : oui Monsieur, bien Monsieur. »

Déjà la rue des « parigots » agonisait, les résistances sociales étaient en voie d’effondrement, le faux respect en marche, l’argot volatil des banlieues pas encore né… Mais, surtout, Amyot avait vaincu Rabelais et Villon…  Voilà, elle est réglée la question de l’argot. Nous savons que les « jargons » n’entrent dans les pages de Céline que pour traduire la vibration émotionnelle des révoltes et des souffrances humaines, et que pour ce qui est de « son » style ils n’y sont qu’une contribution parmi d’autres.

« Je suis un homme à style », déclare-t-il en 1957 (p.17). Il se met en parallèle avec le peintre Seurat : « On entend dire : « Bon. Très bien. Il met trois points, trois points… » Vous savez, trois points, les impressionnistes ont fait trois points. Vous avez Seurat, il mettait des points partout : il trouvait que ça aérait, ça faisait voltiger sa peinture. Il avait raison, cet homme. Ça a pas fait beaucoup école. On respecte beaucoup Seurat, on l’achète très cher. Mais enfin on ne peut pas dire qu’il ait fait des petits. Je crois pas que moi on me suive beaucoup. » (p.18)

Il avait raison sur toute la ligne, Céline ! Autant pour le sens purement stylistique de sa mise en comparaison – oui, ses pages, ses mots s’aèrent et voltigent ! -, que pour son éventuelle descendance : elle n’existe pas, elle n’a jamais existé parce qu’elle ne le peut sauf à se donner le ridicule du copié-collé maladroit et de l’imparable lourdeur… Céline, on ne peut que le plagier, ce qui ne fait pas illusion au-delà de trois paragraphes. La lourdeur, il l’avait en horreur, et il l’évitait par « le travail », un travail considérable que si peu d’écrivains sont en état de fournir. Sur Proust lui-même, dont il reconnaît qu’ « il remarquait bien les gens », il achoppe : « Bien mais style lourd ! Architecture lourde. » (p.32) Qu’importe qu’il n’ait raison qu’en partie et ne prenne pas en compte la fonction exploratoire vertigineuse de la phrase proustienne… Ce qui se voit bien, c’est que ceux qui ont tenté d’écrire « à la Céline », dans le « rendu émotif » contemporain  - j’en ai lu au moins deux – se sont cassé les dents pour des raisons diverses : pour l’un, c’est l’incapacité à conjuguer la rythmique de la phrase et l’émotivité vraie, avec parfois l’intention trop visible d’une concurrence vouée à l’échec… pour l’autre, c’est l’emploi massif, non pesé, d’une langue argotique, banlieusarde qui s’émiette et se démode à peine ses créations sont-elles entrées dans l’usage… Dans les deux cas, l’écrit s’éteint dans une impression de parodie. Céline n’avait que lui-même à imiter, et son travail sur la langue était celui d’un perfectionniste absolu, d’un puriste de la langue décalée.

Il est deux grands moments de style dans le recueil « L’argot est né de la haine ! », et on pourrait ne se le procurer que pour les lire.

Le premier est l’hommage à Zola que Céline prononça en 1933, sur le seuil de la maison de Médan, qui s’ouvre sur cette citation : « Les hommes sont des mystiques de la mort dont il faut se méfier. » Tout Céline ! Suit une fiévreuse diatribe contre la guerre, le goût du meurtre, cette « sorte d’impatience amoureuse à peu près irrésistible, unanime pour la mort. » …« la belote au sang qui nous attire et nous garde. » Une presque péroraison : « Le doute est en train de disparaître de ce monde. On le tue en même temps que les hommes qui doutent. C’est plus sûr. » L’orateur ne se souvient de Zola et du naturalisme qu’en toute fin de discours. Ses auditeurs, en rentrant chez eux, ont dû être bien étonnés.

Le second est la réplique qu’en 1948 Céline adressa « À l’agité du bocal », soit à Sartre, qu’il appelle Jean-Baptiste Sartre, pour un article datant de 1945, alors que Céline était encore au Danemark! On voit la référence sous-jacente. C’est que dans un article des « Temps Modernes » datant de 1945, intitulé « Portrait d’un antisémite », Sartre avait lancé cette accusation pour le moins aventurée dans ses deux versants : « Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis, c’est qu’il était payé. » La réplique au « damné pourri croupion », « au ténia qui joue de la flûte » est cinglante. Laissons le plaisir de la découvrir à ceux qui ne l’auraient pas lue.

Sur le style, la Mère Michel a sa petite idée. Si l’on ne peut gagner les hauteurs céliniennes, ou encore celles d’un Antoine Blondin, d’une Marguerite Duras, d’un Georges Simenon (eh oui, Simenon !!!), d’un Paul Morand… et c’est à peu près tout pour le siècle passé, eh bien que l’on se cantonne à la clarté simple de la phrase classique et que l’on recherche le naturel. D’ailleurs, du style, donnez-nous en un peu, mesdames et messieurs, que l’on y goûte. Mais pas trop, qu’il ne nous assomme.

La Mère Michel

Le 17 septembre 2011

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« La Mère Michel n’a jamais perdu son chat. Elle le tient attaché, ne le lâche pas de l’œil. Le félin est un livre, il n’a pas d’âge. D’hier, d’aujourd’hui, de toujours, il miaule derrière la porte. »

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Michel Host


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005