La mère Michel a lu (13) - Rire et colère d'un incroyant
« La Mère Michel n’a jamais perdu son chat. Elle le tient attaché, ne le lâche pas de l’œil. Le félin est un livre, il n’a pas d’âge. D’hier, d’aujourd’hui, de toujours, il miaule derrière la porte ».
RIRE ET COLÈRE D’UN INCROYANT
De René POMMIER
Essai, 96 pp., 13 €, Éditions KIMÉ, 2012
Des fabuleux monothéismes en usage
La théologie : « Comme on sait, elle traite avec une minutieuse exactitude de l’inconnaissable ».
Anatole France
Les religions, polythéistes en d’autres temps, monothéistes et dominatrices aujourd’hui, ont unanimement traité d’insensés, de corrupteurs, de sots ou de pervers les mécréants, que les déclarations de leurs représentants, autorisés ou non, soient feutrées ou tonitruantes. Il arrivait que la victime payât très cher sa volonté de ne pas demeurer muette : elle buvait la ciguë (Socrate) ou on la brûlait (et lorsqu’elle ne croyait pas exactement selon les canons et dogmes des sectateurs de la religion, on la nommait hérétique alors, au mieux hétérodoxe), et il arrive aujourd’hui encore que sous certaines latitudes on l’emprisonne ou lui coupe la tête, les rois devant désormais partager ce privilège tranchant. Il est bien exact que les croyants tout en exigeant le plus grand respect pour leurs religieuses personnes, les fondements fabuleux de leur foi, les mille ridicules de leurs dévotions et prosternations, n’ont aucun respect pour ceux qui ne croient pas ou en sont empêchés par la raison et leurs raisons, ou encore par l’immense déception qu’engendre l’absence résolue de tout dieu secourable et compatissant lors que sa présence eût été indispensable. Il n’est jamais trop tard pour que le Mécréant, sous la protection de la laïcité, rende aux sectaires partisans d’un Dieu unique affublé de ses trois avatars les plus en vogue et des oripeaux de l’intolérance, la monnaie de leur pièce. C’est la tâche que René Pommier entreprend de mener à bien dans un ouvrage agréable autant que sérieux en dépit de son modeste volume.
Il convient de se convaincre que le croyant reste libre d’errer là où il veut, mais le fait qu’il ne tolère pas que d’autres ne veuillent pas s’enliser avec lui dans les marécages de la foi (le terme dit la confiance et l’assentiment en ce qui n’a aucun fondement de réalité) reste précisément intolérable : ce fut pourtant le fait des auteurs chrétiens en d’autres temps, et l’on devine qu’il faudrait peu de chose pour qu’ils reviennent à leurs anciennes habitudes ; c’est en tout cas le fait de nombre de fanatiques musulmans et de leur saint livre, le Coran qui prône ouvertement la domination exclusive de la seule religion qui vaille, la leur, dont le projet ultime réside précisément dans cette domination – que l’on lise donc le Coran au lieu de parler sans savoir (1) –, et qui mutilent et tuent abondamment en son nom. Quant aux croyants de la religion-mère, le judaïsme, s’ils ne furent pas de tendres amis des déviants et autres hétérodoxes dans les temps bibliques, ils ont définitivement renoncé à imposer à quiconque leur croyance – qu’on les respecte pour cela – fût-ce au prix d’une sorte d’isolement jaloux qui a paru peu compréhensible à bien des gens (2). Et chez eux, l’indifférent, le mécréant n’est pas frappé d’indignité ou de mort, ce qui n’est pas un mince progrès. On le laisse libre de sa pensée, ce qui est un progrès décisif.
La réflexion de René Pommier, est remplie d’irrévérences et d’observations amusantes autant qu’imparables, quoique jamais offensantes du fait qu’elles ne se fondent que sur le bon sens et l’esprit logique (Avant-propos, p.7). Mais raisonner peut d’abord s’accorder avec le rire, Voltaire l’un des premiers l’avait compris, et notre auteur ne déroge pas à la règle lui non plus qui ouvre son livre sur d’amusantes observations. Ainsi dès l’Avant-propos : « [Les croyances religieuses]… constituent une insulte à l’intelligence humaine et jettent le ridicule sur notre pauvre espèce. Elles constituent aussi, ce qui est sans doute encore plus insupportable, une insulte à notre ignorance, puisqu’elles prétendent répondre à des questions dont personne ne connaît et n’a jamais connu la réponse… » Le rire, la plaisanterie se fondent dès lors sur ce bon sens qui invite à prendre la mesure du ridicule des dogmes : « On dit que le Christ n’a jamais ri une seule fois dans sa vie. C’est que personne n’a jamais pensé à lui dire que sa mère était vierge ». Cette irrévérence peut n’être pas appréciée des gens de religion, elle n’en est pas moins nécessaire. Si la foi ne peut la surmonter, c’est qu’elle sera d’une rare faiblesse ou qu’elle aura commencé à se mettre en question. L’Église catholique est envisagée du même pas en tant que superstructure ajoutée à l’édifice de la foi et condamnée par elle-même en premier lieu : « L’Église reconnaît, peu à peu, les erreurs qu’elle a commises et les crimes dont elle s’est rendue coupable : quand elle les aura tous reconnus, ce qui lui prendra encore beaucoup de temps, il lui restera à reconnaître que ces erreurs et ces crimes l’ont condamnée depuis longtemps ». Quant aux musulmans, le rire ne les épargne pas non plus – on sait qu’ils adorent rire et surtout d’eux-mêmes –, et René Pommier les invite à prendre patience dans le martyre qu’ils souffrent quotidiennement dans nos contrées sous les plaisanteries, filles d’une minimale liberté d’expression : « Tous les musulmans qui s’indignent et crient au sacrilège quand on caricature Mahomet, sont évidemment persuadés (le Coran le dit quasiment à toutes les pages) que les incroyants sont inexorablement destinés après leur mort à brûler éternellement dans le feu ardent de la géhenne. On peut donc s’étonner qu’ils supportent si mal leurs sarcasmes fugaces et leurs blasphèmes éphémères… […] que ne se montrent-ils un peu patients ? »
Dans le plein du sujet, notre polémiste revient sur quelques déclarations ou faits notoires de ces dernières années, le catholicisme et l’islam constituant en quelque sorte ses cibles naturelles.
Un article de M. Charaudeau (Le Monde des 19 et 20 février 2006) lui fournit l’occasion de fustiger l’incroyable arrogance des croyants : « L’incroyant ne prétend aucunement “détenir la vérité unique et universelle” : il prétend seulement que le croyant qui, lui, croit bien la détenir et qui voudrait souvent l’imposer aux autres, ne la connaît pas plus que lui ». Et, par ailleurs, « Comment se fait-il qu’ils (les incroyants) ne songent nullement à demander qu’il soit interdit de se moquer d’eux ? Comment se fait-il qu’ils ne prétendent aucunement exiger le respect universel de l’incroyance ? » Tout à trac on verra paraître sous la plume acérée du polémiste les Bossuet, les cardinal Poupard, les Henri Fesquet de la chronique religieuse mondaine, les Thérèse d’Avila avec bien d’autres, et puis Ève tirée d’une côte d’Adam, le péché originel, le dogme de la transsubstantiation « grâce à laquelle un morceau de pain de froment devient instantanément le corps d’un homme mort il y a deux mille ans », la divine trinité (3), l’Immaculée Conception, sur laquelle on se trompe si souvent, et moi le premier qui pourtant aurais dû savoir, et que René Pommier eut la bonté de remettre dans la vraie connaissance du dogme (4), etc. Bref, d’absurdes déclarations des autorités religieuses ici, et là cent fariboles instituées en lois ou en certitudes que les plus prudents consentiront à déclarer symboliques. Ainsi vont les religions de Charybde en Scylla, de fable en déraison.
Ladite religion musulmane, sans être stigmatisée à outrance, selon la terminologie de bon ton, n’est pas épargnée dans cet écrit volontairement ironique, on l’a deviné. Et l’on peut affirmer qu’elle se donne assez de mal pour mériter ce traitement, quoi qu’en diraient nos gouvernants actuels qui ne songent, en s’alliant et en flattant publiquement les agélastes de l’islam en France, qu’à se forger un électorat nouveau tout en reniant la pensée des Lumières qui les a formés et que vomissent en secret ou ouvertement leurs nouveaux protégés. Un récent dessin de Plantu, l’un des rares où il aura réussi à se montrer incisif et à faire rire (5), nous montre le pape Benoît XVI disant à un groupe de fondamentalistes musulmans qui brandissent à la pointe de quelques piques des têtes à l’effigie de l’Oncle Sam : « Aimez-vous les uns les autres ! » Et les barbus de se dire : « Encore une provocation !! » C’est le même esprit qui préside à ce Rire et colère de l’incroyant, un esprit qui en rend la lecture si plaisante, mais aussi propre à nous éclairer si nous tendons vers l’athéisme ou l’agnosticisme, et, si nous sommes croyants à prendre un temps afin de méditer ces choses si du moins notre foi n’est pas celle du charbonnier. Ouvrons sur cette citation éclairante de l’Ayatollah Khomeiny dont René Pommier met en relief la grande subtilité, et rappelons que notre république aida à installer ce sinistre personnage sur sa rampe de lancement : « La sueur d’un chameau mangeur d’excréments humains est impure ; la sueur des animaux qui mangent les mêmes ordures ne l’est pas » (6). Qui dira désormais que les hommes de religion ne sont pas de fins casuistes dont nous avons beaucoup à apprendre… Poursuivons un instant : René Pommier indique quelques passages du Coran (pas tous, son pamphlet eût eu cinquante pages de plus) où, par la bouche de son prophète, Allah insulte les croyants des autres religions et manifeste son mépris haineux des incroyants. La question nous intéresse particulièrement, et l’Europe tout entière, du fait d’une immigration musulmane massive. En fin de volume est clairement souligné et étudié l’amalgame fait continûment par les défenseurs de cette religion entre islamophobes (soit dit une fois encore, ceux qui craignent l’islam et non ceux qui le haïssent) et racistes anti-arabes, de même qu’entre judéophobes et antisémites. C’est là le sophisme ordinaire qui permet de donner à penser que sous la raison critique et ses arguments se dissimulent d’autres raisons non avouables. Et l’on comprend qu’une telle confusion fasse florès (7) : « Pour le croyant, commencer seulement à comprendre les raisons de l’incroyant, c’est donc déjà commencer à douter » (p.66). « Il est plus flatteur de se dire qu’on est victime de préjugés racistes plutôt que d’admettre qu’on vous reproche de croire à des stupidités ridicules » (p.74). J’ajouterai que ces stupidités sont mortifères, l’actualité nous en apportant des preuves renouvelées chaque jour que Dieu fait, si j’ose dire. Nous comprenons fort bien que dans sa conclusive défense du libre examen, le polémiste tienne à préciser : « Mon islamophobie ne se nourrit que de mon aversion pour l’islam qui n’est elle-même qu’une des facettes d’une aversion générale qui englobe toutes les religions, tous les mouvements sectaires, et, bien sûr, l’astrologie et toutes les formes d’obscurantisme (p.75) ». Pour en rester à l’essentiel et au pratique, qu’il suffise de raisonner une seconde : si les croyants quels qu’ils soient avaient un tant soit peu de raisons et d’arguments solides à opposer à leurs contradicteurs, ils devraient non pas vouer ceux-ci aux gémonies, mais bien « se montrer sans cesse impatients d’entendre les critiques et les objections des incrédules pour jouir ensuite du plaisir de les réduire en poussière… » (p.85). Mais rien de cela ne se produit, bien entendu, car d’arguments point, comme le montra fort bien, selon moi, le fameux pari pascalien, scandale majeur de l’esprit, défaite de la pensée et aveu d’impuissance. Le vrai courage, en outre, est du côté des incroyants « car il en faut pour regarder en face notre condition et admettre que nous sommes destinés à retourner au néant d’où nous venons, sans avoir jamais eu les explications auxquelles pourtant nous aurions droit » (p.36). Pour ma part, une vaine éducation religieuse combinée à certaines expériences de vie m’en avaient de longtemps convaincu (8). Monsieur Pommier m’en donne confirmation dans le rire plus que dans la colère.
Michel Host
(1) Difficile de le nier, cette lecture est d’un ennui sans mesure, mais entièrement instructive non seulement du fait de ses nombreuses contradictions, mais par ses appels répétés au meurtre de l’apostat, à l’élimination physique de l’incrédule, de l’athée, à l’élimination des autres religions et à l’affirmation de la nécessité de l’universelle domination de l’islam.
(2) René Pommier (p.65) signale la discrétion juive relativement à l’incroyance mais aussi que des « juifs religieux » commencent rituellement leur journée en remerciant Dieu de ne pas les avoir créés non-juifs… ce qui, peu ou prou, équivaut à l’affirmation d’une supériorité, et revient à « commencer sa journée en affichant son mépris pour les autres croyants… ».
(3) Notre polémiste réserve un sort particulier à Pascal, ce bizarre paradoxe qui unit dans un même esprit une lumineuse intelligence et des capacités scientifiques hors du commun à une croyance sans faille aux fables anachroniques transmises par l’endoctrinement religieux.
(4) Elle est clairement signifiée à la p.51 de son livre.
(5) Le Monde des 16-17 septembre 2012.
(6) Principes politiques, philosophiques, sociaux et religieux de l’Ayatollah Khomeiny, Éditions libres Hallier, 1979, p.63.
(7) Et même sur la radio France Culture, étrange antenne qui a fait de cette confusion son credo et sa loi.
(8) Si l’on veut s’amuser encore, parfaire ses connaissances en folies religieuses et mystiques, on peut lire encore avec profit, de René Pommier, publié en 2011 chez le même éditeur, un « Thérèse d’Avila. Très sainte ou cintrée ? Étude d’une folie très aboutie », 163 pp., 20 €
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