La Mère Michel a lu (1)
Chronique
DÉFENSE DU PAGANISME
« Contre les Galiléens »
de JULIEN L’APOSTAT
Traduction du Marquis d’Argens. Révision, postface (Le chant du cygne du Paganisme), annotations par Yannis Constantinidès. Éditions Mille.et.une.nuits, 2010, 100 pp., 3€50.
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Benoît, pape des catholiques apostoliques et romains, vient de nous rappeler que le triomphe de son Église est permanent. Madrid, cet été, a vu un million de jeunes vainqueurs de Julien l’Apostat camper dans ses murs. Peut-être certains d’entre eux ignoraient-ils qu’ils eussent pu ne jamais piétiner le sol de la plaza de Cíbeles, parce que des adorateurs de Zeus, d’Apollon, d’Héraclès et d’Aphrodite eussent pu danser en leur lieu et place sur l’asphalte madrilène.
Il eût suffi pour cela, c’est probable, que Flavius Claudius Julianus, dit l’Apostat, fait empereur en 361, neveu de Constantin le Grand, rescapé d’une histoire familiale mortifère, n’eût pas, en 363, été frappé par une lance perse sous les murs de Ctésiphon. Le jeune homme, disparut à un âge christique - il était né vers 331. Éduqué dans la religion des chrétiens, il la connaissait parfaitement. Il était en secret adorateur du soleil, admirateur lucide et mesuré de la tradition polythéiste des Grecs, initié sans aucun doute aux Mystères d’Éleusis et profond ennemi de la « secte des Galiléens » contre lesquels il écrivit son traité dont nous pouvons lire ici la traduction du marquis d’Argens, relue et très clairement postfacée par Yannis Constantinidès.
Croyants ou incroyants, nous aurions tous intérêt à méditer ce bref et admirable traité en dépit qu’il ne présente pas une argumentation d’une impeccable logique discursive, mais plutôt une série de vues, d’analyses et de propositions qui éclairent les enjeux du grand bouleversement qui eut lieu lorsque les apôtres, disciples du Christ, se répandirent sur le pourtour de la Méditerranée pour en chasser le Grand Pan. (Ayons mémoire de l’admirable incipit de Jules Michelet à son ouvrage La Sorcière !) Le troisième étage de la fusée de notre civilisation est mis à feu dans ces pages : après l’âge mosaïque, après l’âge hellénique, voici l’âge chrétien fondé en partie sur eux et contre lequel Julien s’élève avec toute la vigueur de sa conviction oppositionnelle. Viendront ensuite les âges de Raison, puis de Technique et de Finance, soit la forme actuelle de notre monde.
Julien, s’il eût vécu, aurait-il pu voir ses thèses triompher, l’ordre récemment initié par Constantin et le christianisme s’effondrer ? Yannis Constantinidès nous rappelle que l’ historien Paul Veyne était de cet avis : « Pour le grand historien de Rome, le combat de Julien n’était ni donquichottesque ni perdu d’avance, contrairement à ce que l’on a pu dire : " Julien n’était pas un esprit chimérique, un rêveur : le christianisme pouvait n’être encore qu’une parenthèse historique qui, ouverte par Constantin en 312, allait se refermer à jamais" .» (in Quand notre monde est devenu chrétien). Si des empereurs païens avaient été choisis après Julien… si l’arianisme avait ruiné le dogme de la divinité du Christ… etc.,… l’histoire eût certainement été tout autre, mais tous les « si » imaginables ne peuvent en inverser le cours. Faut-il le regretter ? Ce serait vain, il me semble, car la roue a tourné durant deux millénaires. Beaucoup d’aveugles et de malentendants nient aujourd’hui les racines chrétiennes d’une civilisation, la leur, la nôtre, qu’ils contribuent à enterrer du même coup quoiqu’elle ne leur ait pas apporté que des désastres. Pour le reste, c’est affaire de conviction personnelle, et aussi d’esthétique… un fructueux débat reste à poursuivre sur ces problématiques.
Parmi les questions soulevées par Julien, plusieurs semblent décisives, qui nous poussent à approfondir notre réflexion.
Julien voit une « machination » et une « invention humaine » dans l’élévation du Christ à la divinité, et dans le récit de cette élévation une « fable », et même une « fiction monstrueuse ».
Il pose d’abord comme axiome que « la connaissance de Dieu existe naturellement dans l’humanité » (ce que la Mère Michel contredirait volontiers, mais ce n’est pas ici le lieu d’engager un tel débat), et ce point de départ lui permet d’engager une longue comparaison entre croyances et religions des juifs, des Galiléens (les chrétiens, qu’il situe ainsi dans une étroite aire géographique) et celles des Romains et des Grecs. S’il est convaincu des supériorités de ces dernières, s’il n’oublie pas qu’elles reposent elles aussi sur bon nombre de fables, il leur voit plus de profondeur et de vérité, notamment en ce que le partage des « dons » divins s’y étend à des connaissances nombreuses (philosophie, astronomie, mathématiques, médecine…), aux arts, à l’architecture, à l’art militaire (« Combien d’Alexandre et de Césars chez les Hébreux, par exemple ?). La protection de Dieu (jusqu’à quel point les Mystères ont-ils conduit Julien au monothéisme ?) et des dieux n’a donc pas été distribuée d’abord sur le peuple hébreu, et moins encore sur la secte des galiléens.
Parmi les questions soulevées, qui nous engagent à considérer le fait religieux non pas avec des yeux anciens, mais avec des yeux neufs et ouverts depuis près de deux millénaires, celles-ci : ne serait-il pas utile de relire ensemble Moïse (à qui Julien attribue le récit biblique) et le Timée de Platon ? Le Dieu biblique, celui de la Genèse, ne ferait-il pas preuve de « la plus grande des absurdités » en « [interdisant] la connaissance du bien et du mal aux personnes qu’il a lui-même façonnées », leur interdisant ainsi « de goûter à la sagesse, alors que rien n’a plus de valeur à ses yeux. » ? Quant à la prédication de Paul (« le plus grand imposteur et fourbe qui ait jamais existé ») elle pose un Dieu « jaloux » et partial. Où sont alors les cohérences essentielles ? Que penser de la fable de la virginité de Marie ? De la fable de la Tour de Babel et de la « confusion » des langues, qui ne semble pas plaider pour une divinité compréhensible aux hommes sains d’esprit et de bonne volonté : « Comment donc pouvez-vous débiter et croire une fable aussi puérile et comment pouvez-vous vous attribuer la connaissance de Dieu, vous qui dites qu’il fit naître la confusion des langues, parce qu’il craignait les hommes ? Peut-on avoir une idée plus absurde de la Divinité ! » Quant à la Trinité, elle est pur scandale de l’illogisme pour Julien : « Comment est-il possible que Jésus ait dit à ses disciples : "Allez enseigner les nations et les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit" ; il ordonnait donc que les nations devaient l’adorer avec le Dieu unique ? ». Pour ce qui est de Jésus, Julien le voit comme « un simple homme », ne comprenant évidemment pas que les Galiléens l’adorent à l’égal d’un dieu, et cela même, peut-être, l’empêche de considérer sa prédication comme une philosophie et une pensée positives. Sa nature de « fils de Dieu » reste sujette à caution : « Si Dieu veut être seul adoré, pourquoi adorez-vous ce prétendu fils que vous lui donnez, qu’il ne reconnut jamais ni considéra comme sien ? »
Nous savons comme le catholicisme romain a, depuis Julien l’Apostat, raffiné ses réponses à ces interrogations légitimes et affûté la façon de les repousser par tout un faisceau de manœuvres proprement casuistiques : les mystères devenus dogmes, les desseins imprévisibles de Dieu, les fables originelles changées en récits symboliques… etc. Peu importe. Julien met parfaitement en évidence l’irrationalité fondamentale du fait religieux chez les Galiléens, irrationalité corrélée avec un exclusivisme (nous dirions une intolérance) qui se justifie d’autant moins. Il était dans le vrai : nous avons souvenir des bûchers des sorcières et des hérétiques des périodes ultérieures.
Une lecture, donc, qui s’impose à notre réflexion. Malraux, si l’on en croit la rumeur, ne voyait-il pas le fait religieux dominer le siècle dans lequel nous entrons ? Empruntons à Yannis Constantinidès ce paragraphe conclusif :
« C’est pour guérir de cette « folie » de la Croix que Julien rédige son pamphlet Contre les Galiléens à Antioche l’hiver 362-363, quelques mois seulement avant sa mort tragique. Certes, le procès en moralité qu’il fait au christianisme n’est pas dénué d’ambiguïté, comme on a pu le dire avec raison. Il s’y montre d’ailleurs bien plus indulgent avec Jésus qu’à l’égard des apôtres qui, Paul le premier, l’ont utilisé sans scrupule comme une arme de conversion massive. Peut-être pourrait-on voir dans cette attitude paradoxale, où une certaine fascination se mêle à la plus forte répulsion, une sorte d’identification à l’agresseur de la part de l’empereur éduqué de force dans le christianisme, mais qui adorait secrètement le Soleil. »
La Mère Michel
Le 1er septembre 2011
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« La Mère Michel n’a jamais perdu son chat. Elle le tient attaché, ne le lâche pas de l’œil. Le félin est un livre, il n’a pas d’âge. D’hier, d’aujourd’hui, de toujours, il miaule derrière la porte. »
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Michel HOST
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