La Méditation et la Bible, Aryeh Kaplan (par Gilles Banderier)
La Méditation et la Bible, janvier 2018, trad. anglais Zéno Bianu, préface Marc-Alain Ouaknin, 264 pages, 8,50 €
Ecrivain(s): Aryeh Kaplan Edition: Albin Michel
Le dictionnaire de Littré donne trois sens au substantif « méditation » : 1. « Action de méditer » ; 2. « Écrit composé sur un sujet de dévotion, de philosophie » ; 3. « Oraison mentale ; goût pour cette oraison ». On passe de l’activité intellectuelle à la prière, par un glissement dont la deuxième définition forme le pivot. Pour d’innombrables croyants à travers les siècles, la méditation fut une manière, voire une méthode, d’accéder à Dieu. Presque aussi innombrables furent, dans le catholicisme par exemple, les ouvrages proposant au lecteur des techniques afin d’atteindre les différents états de contemplation mystique. La vague de sécularisation balaya ces textes, désormais connus des seuls historiens (on lira l’excellent livre de Christian Belin, La Conversation intérieure. La Méditation en France au XVIIesiècle, Champion, 2002). Toutefois, le vide ne fut pas long à être comblé. À partir des années 1960, les techniques de méditation propres aux religions orientales, avec leurs excès et leurs ridicules, arrivèrent dans une Europe désenchantée. Toutes ces voies méditatives ont un point commun : l’idée d’un accès direct à Dieu, sans passer par l’intelligence ou la raison.
Les ouvrages de ce merveilleux bibliophile que fut Gershom Scholem (Les grands courants de la mystique juive, Payot, 1985) et de Moshe Idel (L’Expérience mystique d’Abraham Aboulafia, éditions du Cerf, 1989) ont montré que le judaïsme n’était pas demeuré étranger aux techniques de méditation et qu’il avait développé ses propres méthodes. Moshe Idel avait attiré l’attention sur ce kabbaliste hors du commun que fut Abraham Aboulafia, né en 1240 (l’année même où de nombreux manuscrits du Talmud furent brûlés en place publique à Paris – épisode rappelé par Éliette Abécassis dans son dernier roman paru, Le Maître du Talmud). Aboulafia entreprit de se rendre à Rome afin de convertir au judaïsme le pape en personne, Nicolas III (à qui Dante trouvera une place dans son Enfer, XIX, v. 69-72). Le kabbaliste n’y gagna que d’être jeté en prison.
Avec une érudition impressionnante, établissant ses analyses non seulement sur des textes imprimés, mais encore sur des manuscrits conservés de New York à Moscou, en passant par Oxford, Rome et Jérusalem, Aryeh Kaplan élargit considérablement les perspectives. Il contribue à la réhabilitation du courant pharisien (p.252, note 17) et observe que l’expérience mystique, prophétique, était répandue avant la destruction du Temple (il en est question dès Berechit/Genèse 24, 62-63), avec le mauvais côté de cette expérience, la sorcellerie et l’occultisme. Le prophétisme hébreu apparaît lié au Temple et spécialement à l’Arche d’alliance. La méditation requiert un support, celui-ci pouvant être les chérubins de l’Arche ou le hochen, le pectoral du grand prêtre.
C’est un fait connu, mais jamais expliqué (sauf à dire qu’il s’agit d’une coïncidence, ce qui n’éclaire rien), que Platon et Bouddha apparurent au moment où les prophètes juifs se turent. Pour des raisons qu’il n’est pas difficile de comprendre, Aryeh Kaplan a limité son étude aux textes hébraïques. S’il souligne un parallèle avec Platon (p.186), il ignore ce qui est venu ensuite et peut-être faut-il le regretter. Dans la Bible, la méditation se pratiquait le matin, où l’esprit trouvait la tranquillité indispensable (p.148-149). Le livre de la Sagesse (16, 28), apocryphe dans la Bible hébraïque, indique qu’il faut prier avant le lever du soleil (ce que fit Jésus, cf. Marc 1, 35). On ne peut exclure que, dans le désert, Jean Baptiste, qui était prêtre cohen (Vayiqra/Lévitique 10, 9 et Luc 1, 15) se soit livré à la méditation prophétique. L’oraison entraîne avec elle toutes sortes de tentations destinées à distraire l’esprit de sa prière. Dans le désert, toujours, où il était allé prier et où il n’avait aucun pharisien à convaincre (cf. Matthieu 4, 1-11 et Luc 4, 1-13), Jésus combattit le diable à l’aide de la Torah (Devarim/Deutéronome).
Gilles Banderier
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