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La marque Macron, Désillusions du Neutre, Raphaël Llorca (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton 13.04.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Essais

La marque Macron, Désillusions du Neutre, Raphaël Llorca, Editions de L’Aube, avril 2021 (essai, philosophie politique), 166 pages, 17 €

La marque Macron, Désillusions du Neutre, Raphaël Llorca (par Martine L. Petauton)


« Ce 7 Mai 2017 au soir, cour du Louvre ; tout dans la marque Macron y est déjà : la force du neutre, un récit, une esthétique, y compris déjà les premiers signes du dérèglement ; un certain autoritarisme esthétique, une forme de kitch, un excès d’incarnation, la tentation du sous-titre permanent »

Philosophe du champ politique, Llorca est aussi spécialiste du langage. Son regard, loin s’en faut, n’est pas celui du débatteur-contradicteur politicien, mais, celui du sachant observateur, maniant les grilles et, semant dans cet excellent livre qui se lit mieux que facilement, le respect qui sied à la chose démocratique quand on l’analyse. Ceux qui attendraient le pamphlet saignant peuvent passer leur chemin.

La « marque », qui n’est pas le marketing, a trait aux croyances (« gouverner, c’est faire croire », dit Machiavel), au symbolique, à l’imaginaire et au champ immense des représentations qui nous habitent tous, et qui construisent notre rapport au monde. Dès 2017, il y a mise en œuvre d’un niveau axiologique, narratif et esthétique, grille de lecture du concept de la marque. Tout poussait le candidat à s’organiser selon cette stratégie à l’époque, son « jeune » entourage issu du privé, et rompu à la communication, mais aussi la perplexité boudeuse de la société : « attendant plus d’autorité verticale et plus de démocratie participative, plus de protection, mais moins de freins », autant dire « en même temps, ni – ni, et – et » ; du contradictoire à foison.

L’axe de la marque, ce sont en socle les valeurs fondatrices, qu’on peut associer alors au Neutre de Roland Barthes : sortir du système binaire et oppositionnel, certes, mais au-delà, bâtir un projet « en marche », rechercher un autre chemin, « la levée du conflit, son esquive » ; dialectique sans synthèse, à l’opposé de Hollande, chez qui on s’en souvient, Macron a grandi. Nonobstant, ce Neutre pourrait construire un vaste projet, un véritable ailleurs ; qu’en fera Macron ? Force plastique, capable de « déjouer toutes les oppositions », tel se veut en tous cas le président lors de sa victoire.

Second niveau de la marque, mettre en récit les valeurs, construire un mythe. La stratégie du quinquennat débutant s’intéresse ainsi à l’inconscient monarchique de la république, permettant la mise en place de la fameuse verticalité jupitérienne du pouvoir (Napoléon et De Gaulle sont les deux référents/pères d’E. Macron). Il y a aussi dans le récit cette figure de l’entrepreneur politique – la « start-up nation », articulant utopie/pragmatisme, vision/réalisation. C’est Macron en débat, le « grand » d’après les Gilets jaunes, le genre qu’il aime (et sait) ressusciter de temps à autre. Et puis, important dans le mythe, le personnage de roman, celui qu’il revendique : « La chartreuse », mais on pense évidemment aux « Illusions perdues ». Le romanesque a chez Macron la fonction du déplacement : de « vide, au départ, il se remplit en fonction des événements ».

Le dernier niveau de la marque politique, c’est l’esthétique, les signes ; on est dans le visuel, le lexical, le scénographique. Macron, dès le début, insista plus sur la force du mouvement, que sur le contenu réel des politiques mises ou à mettre en œuvre (c’est « l’exhibition du faire »). D’excellentes pages (et schémas) éclairent le langage des discours et le « nuage des mots » qu’on y trouve le plus souvent. De même que l’analyse des couleurs, formes, écritures des logos utilisés par En Marche, ce mouvement – et non parti – sorti de la société civile fuyant « l’ancien » politique, vendu comme « autre chose »…

Ce qui fait la force du livre de Llorca, en dehors de sa construction remarquablement documentée, et explicitée de façon pédagogique, c’est qu’on le lit – aussi – comme un roman : le jeune homme, son projet, son aventure politique. L’évolution, donc, le devenir (jusqu’en début 2021).

Le philosophe observe d’abord dans les premières années du quinquennat un Neutre qui aurait pu être incarné en « neutralité » apaisante, et qui fut utilisé en « neutralisation » brutale des formes adverses (François Bazin : « dans la conquête, il était le renard rusé et duplice… une fois élu, il est le lion, explicite et jupitérien »). Le « nouveau monde » sert de récit, renvoyant les corps intermédiaires dans l’ancien ; les stratégies d’apparat, la technicisation des discours, habitent une esthétique nouvelle et froide qui se drape dans le pragmatique. Une place importante est faite à l’époque Gilets jaunes – « ordre contre désordre, roi contre bouffon ; contre marque de celle du pouvoir ». Pages qui apportent du reste sur cette séquence, cette « colère française », un éclairage très pertinent.

La dernière partie du livre est consacrée à « l’explosion du Neutre », avec la séquence encore en cours de la crise Covid, « ce fait social total », selon M. Mauss). Cette confrontation avec l’ennemi-maladie (dont J. Delumeau disait pour la peste qu’elle « produisait forcément une dissolution de l’homme moyen, au profit du héros ou du lâche »). Force est donnée à la neutralisation dans la métaphore guerrière du « nous sommes en guerre », mobilisation générale, union sacrée, héroïsation de pans de la société, les fameuses premières lignes…

Les pages de prospectives qui clôturent l’opus sont forcément risquées quand on les lit à l’orée d’un Macron-seconde époque ; toutefois, la sortie du projet du Neutre semble avérée, sans que pour autant la notion de marque soit absente, différente par contre, s’interroge Llorca : marque-conversation ? (type convention citoyenne pour le climat), marque-miroir ? cherchant à épouser au plus près les peurs de la société, marque-autorité ? Logique de contrôle voire de confiscation du débat…

Il nous arrive souvent de lire en conclusion des recensions qu’on a un livre passionnant, facile à lire, qui fait réfléchir et nous forme, donc qu’il faut lire ! Tout est bon pour ce livre-ci, de première importance pour le citoyen que nous sommes !


Martine L Petauton


Raphaël Llorca, philosophe et chercheur en sciences de la communication, expert associé à la Fondation Jean Jaurès.


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A propos du rédacteur

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)