La maladroite, Alexandre Seurat (2ème article)
La maladroite, août 2015, 112 pages, 13,80 €
Ecrivain(s): Alexandre Seurat Edition: Le Rouergue
Voici un premier roman dont l’éditeur nous dit qu’il est d’une rare nécessité. On peut être d’accord en précisant qu’il s’agit plus d’une nécessité sociale que littéraire, sans rien enlever à ses qualités ni à la cohérence du projet et de la voix qui l’animent.
Entre narration, confession et rapport administratif, La maladroite est le récit d’une vie d’enfant qui n’était « pas faite pour vivre », qui semblait condamnée avant même que de naître par les histoires qui l’ont précédée, par le nom même qu’elle porte : Diana. Un nom de princesse qui n’était pas vraiment à sa place et qui disparaîtra dans un tunnel.
Ce qui est en effet terrible dans le drame de La maladroite – et qui peut rendre ce récit nécessaire – c’est l’impuissance de celles et ceux que Diana touchent mais qui ne sauront ni ne pourront l’aider, quelle que soit la place qu’ils occupent dans sa vie qui ne cesse de fuir, d’échapper aux autres, soumise à une famille effrayante et si banale. Il y a sans doute beaucoup de petites Diana autour de nous, que nous ne savons voir, que nous ne savons entendre, et que l’on ne sait préserver ni même écarter du danger qui les menace.
Le récit d’Alexandre Seurat a ceci de gênant qu’il nous laisse un amer sentiment d’incompréhension, voire d’impuissance. On reste désespérément extérieur et étranger à cette famille qui fait tout pour qu’on l’oublie, qui sait et ne veut pas qu’on sache. Qui défie les autres de savoir et surtout de prouver ce qu’ils soupçonnent. On pourrait vite basculer à la lecture, surtout si l’on ne connaît que d’opinion et de jugements hâtifs ce qui se joue dans les situations de maltraitance, dans une condamnation de l’incurie des services sociaux, de leurs insuffisances… Mais le récit a l’intelligence de montrer que les choses ne sont pas si simples ni si transparentes, évidentes et logiques, que les bonnes volontés et la générosité ne suffisent pas toujours, aussi grandes soient-elles.
L’écriture et la technique du récit, qui reprend la figure de l’écriture chorale devenue une quasi-obligation littéraire aujourd’hui, peut paraître artificielle, mais la sobriété de l’écriture et la force du récit qui couve nous emportent d’une traite jusqu’au dénouement. Pour autant, il manque quelque chose d’essentiel à ce récit qui reste un peu trop à la surface des choses, voire dans des lieux communs implicites ou tacites, laissant un peu trop le lecteur face à son incompréhension de ce qui peut entraîner un drame tel que celui qui nous est ici conté, laissant les fantasmes et les idéologies régler leur compte aux « mauvais parents », aux lâchetés ou à l’aveuglement des uns et des autres, à leur insupportable neutralité. L’auteur fait le choix de nous tenir au dehors de cette famille, dont seul le frère nous livre un peu plus, à l’image de ce que font les médias – mais peuvent-ils faire autre chose ? – qui s’affolent pitoyablement lorsqu’une affaire vient leur offrir l’occasion de faire un peu de tirages ou quelques points d’audimat, flattant cet inquiétant et nauséabond goût pour le drame et l’horreur. Nous rassurant sur notre fascination pour un mal qui nous serait si étranger qu’il ne saurait nous concerner qu’en nous sidérant par son étrangeté. Les monstres sont toujours les autres, par définition.
Il est utile que La maladroite nous alerte sur ce nous pouvons voir et ne voyons pas, sur notre propension à ne pas voir ni entendre ce qui nous dérange et exige de nous que l’on s’engage contre. On peut aussi regretter que le récit fasse le constat d’une impuissance généralisée donnée comme quasiment inéluctable (qui ne correspond pas vraiment à la réalité quotidienne sur le terrain) et nous fasse pas plus entendre ce qu’il y a d’humain en ces autres – si monstrueux soient-ils – peut-être pas si différents de nous et auxquels nous avons peut-être surtout peur de ressembler un jour, auxquels nous savons que nous aurions pu ressembler, pour peu que…
Marc Ossorguine
Lire l'article de Martine L. Petauton sur la même oeuvre
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