La maison fendue (1), par Sandrine Ferron-Veillard
Tu pars deux mois pour l’Australie. Pour Sydney. Là le meilleur endroit pour remonter le temps. La plus vieille demeure où l’enfance de la planète, l’Australie, est une maison qui grandit, qui se déplace. Une île. Un continent qui avance de douze centimètres par an, t’ont-Ils répondu.
Car Ils t’ont demandé si tu voulais échanger ton appartement sur le canal Saint-Martin à Paris. Leur maison est située à Neutral Bay, à Sydney. Neutral Bay, tu ne connais pas. Tu as accepté. Un échange en simultané pour un mois.
Simultané, ée, adj. Du latin, famille de similis : similaire. Se dit d’évènements distincts ayant lieu au même moment. Traduction simultanée : donnée en même temps que parle l’orateur.
Tu notes. Au moins une vingtaine de courriels, un appel via Internet pour se voir : les dernières finitions pour ne pas se rater.
Se rater.
Ils viendront te chercher à l’aéroport de Sydney. Ils te feront visiter leur maison, te transmettront leurs consignes. Les clefs. Peut-être dînerez-vous ensemble. Ils partiront le lendemain pour Paris.
Iras-tu plus loin, plus bas jusqu’à Melbourne, jusqu’en Tasmanie ou resteras-tu suspendue aux quartiers d’oranges de l’Opéra, à ne faire que regarder des images, toutes ces images encadrées dans tes livres. Tu pars sans savoir. Sans filet. Sans jamais refermer les portes, éteindre la lumière derrière toi, c’est moi qui t’avertis toujours.
Prends ton billet en agence, Internet t’y connais rien et comme toujours tu vas te faire avoir.
Tu passes tes nuits à surfer sur le Net, tu te laisses porter, grand bien te fasse, tu remplis des formulaires, tu demandes des devis, tu t’inscris pour obtenir le bon tarif, tu as su créer une adressepoubelle : faitespascommechezvous@free.fr.
Tu as réussi à dénicher le meilleur billet sans devoir faire trois fois le tour de la terre pour arriver à destination. En seconde classe. Tu pars pour deux mois et tu es soulagée. Pourquoi deux mois.
Tu veux photographier les pieds des Australiens. Ceux également des animaux. Les pieds et la façon d’habiter. Un nouvel engouement. Tant mieux. Tu as de l’argent, tu es à l’abri. Grâce à moi, tu parles anglais.
Ridicule cet engouement pour le pied. Et où vas-tu vivre le deuxième mois ; ça n’a aucun sens.
Tu as toujours eu beaucoup de chance.
Une semaine avant de partir ou peu de temps avant de prendre l’avion pour Sydney, tu as reçu une réponse. Eux ils sont d’accord pour échanger le deuxième mois, leur appartement situé à Melbourne. A St Kilda. A dix minutes du centre en tramway. Le couple sera en Nouvelle-Zélande où vivent leur fille et leurs deux petits-enfants pour trois semaines. Seulement pour trois semaines. Et à condition que tu t’occupes des deux chats.
Ils sont enchantés. Retraités. Quelles professions. Ils ont l’air gentil. Cheveux blancs, corps ronds, visages roses, ils sont souriants. La photo n’est pas très nette, la traduction est mauvaise.
Vous vous rencontrerez à leur retour/à ton départ, quant à ton arrivée, il est prévu que leur voisin t’accueille à l’aéroport. Sydney/Melbourne. Une formalité. Le jour et l’heure sont fixés à l’avance car le voisin n’a pas de téléphone portable. Eux projettent de venir à Paris au mois de juillet. Ou septembre. Sur les traces d’un parent en Normandie pendant la Seconde Guerre Mondiale ou une histoire dans ce genre-là. Ils auront ton appartement qu’ils adorent déjà.
Et tu iras où pendant trois semaines maintenant que je ne suis plus là pour toi, maintenant que tu ne peux plus m’imposer ta présence.
A suivre
Sandrine Ferron-Veillard
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