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La maison Dieu, Céline Laurens (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 06.09.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Roman

La maison Dieu, Céline Laurens, Albin Michel, août 2024, 240 pages, 20,90 €

Edition: Albin Michel

La maison Dieu, Céline Laurens (par Philippe Chauché)

 

« Chaque fenêtre de la maison de Monsieur et Madame donne à voir sa saison préférée. Imaginez. Celle du salon de musique, le printemps : Mallora et Abel boivent de la citronnade. Ils feuillettent des livres sur une table blanche et rouillée disposée sur la terrasse en pierre. Le ciel est clair, l’arrosoir rutile perdu dans l’herbe et leurs visages éclatent de nudité dans ces premières tonalités franches du printemps » (Élise, La maison Dieu).

Avant d’être le nom du dernier roman de Céline Laurens, La Maison-Dieu est la lame XVI du Tarot de Marseille, dont Paul Marteau nous dit « qu’elle représente les constructions éphémères et fécondes de l’Homme, toujours détruites, toujours reprises, douloureuses parce qu’elles ruinent ses ambitions, bienfaisantes parce qu’elles accroissent sans cesse les richesses de son savoir (1) ».

Jean Paulhan qui a signé la préface de l’ouvrage écrit à propos du Tarot, ce qui pourrait s’appliquer au lecteur de romans : « Mais le simple amateur des Tarots (…) tandis qu’il manie ses cartes, et les tourne et les retourne, il pense assister au déroulement réel des choses, dont il ne voyait jusqu’ici que l’apparence. Comme s’il avait posé une grille sur le monde, n’importe quel évènement lui avoue soudain sa face secrète, ses fantaisies, ses raisons singulières ».

La maison Dieu de Céline Laurens est fidèle à cette lame du Tarot, elle ne l’illustre pas, elle la magnifie. Elle raconte l’histoire d’une maison incendiée, et la mort des parents, l’histoire d’une famille meurtrie, d’un village où se répandent des rumeurs, d’un enfant Abel, qui ne veut pas grandir et de sa sœur Mallora, qui, tel un ange, veille sur lui et ses parents. Le temps et la trahison ont fissuré l’amour que se portaient Esther et Armand ; dans la maison, ils occupent leur propre domaine, et ne se croisent que rarement, les enfants, virevoltent tout autour, colonisent le jardin, et s’inventent, des aventures, des rêves et des amours. On croise aussi Élise, gardienne de la cuisine et du ménage, confidente des enfants, fidèle et femme de raison. D’où vient l’éblouissement que l’on ressent en lisant La maison Dieu ? De la passion romanesque qui en est la signature, de la magistrale construction du roman, où les paroles se croisent, chacun des personnages y raconte son histoire, sa vie et ses envies. Céline Laurens n’est pas la première à choisir cette forme littéraire, cet opéra de voix qui se croisent, s’accordent, s’illuminent, mais son sens profond du récit romanesque le rend passionnant. Comme dans l’arcane XVI, le roman est ainsi traversé par d’éphémères constructions mentales qui s’effondrent pour se relever, comme ressuscitées, sauf la mort des deux parents, qui reste comme une balafre, à l’image de l’un des deux hommes qui chute de la tour de la lame, et qui se ressource dans l’énergie des pierres ; les romans, certains en tout cas, offrent aux lecteurs, une semblable énergie.

« Ma maison est une peau tendue, elle m’informe. J’entends Abel qui dévale la langue rouge de l’escalier, Mallora qui retire doucement un ouvrage de la bibliothèque, le pas d’Armand qui sort de ses appartements pour se diriger jusqu’au salon de musique. Debout à côté du piano aveugle, il guette, le regard perdu à l’horizon, l’instant où je me lève et, quand l’envie m’en prend, je le regarde pour l’obliger à m’envoyer Élise » (Esther, La maison Dieu).

La maison Dieu, par son sens de la composition, la force de ses personnages, qui ont tous de belles raisons d’être lus et donc écoutés, par l’histoire qui se construit devant nous, pas à pas, pierre à pierre, lettre à lettre, nous dévoile un monde romanesque, placé sous la protection de la lame de la Maison-Dieu, un roman qui nous dit secrètement : si un monde s’effondre, un autre surgit et nous éblouit.

Philippe Chauché

 

(1) Le Tarot de Marseille, Paul Marteau, Préface de Jean Paulhan, Exposé d’Eugène Caslant, Arts et Métiers Graphiques, 1949.

 

Céline Laurens est l’auteur de Là où la caravane passe (Prix Roger Nimier 2022), et de Sous un ciel de faïence (Albin Michel).



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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com