La maison aux orangers, Claire Hajaj (par Stéphane Bret)
La maison aux orangers, mars 2018, trad. de l'anglais Julie Groleau, 394 pages, 21,90 €
Ecrivain(s): Claire Hajaj Edition: Les Escales
La Maison aux orangers met en scène deux destins : celui de Salim Al-Ishmaeli, impatient d’aller accompagner son père à la cueillette des oranges dans sa propriété de Jaffa. Nous sommes en 1948, à la veille de la guerre israélo-arabe qui se conclura par le partage de la Palestine, et la fuite de la majorité de très nombreux habitants arabes palestiniens. Le second personnage est Judith, jeune juive lycéenne vivant dans le nord de l’Angleterre, élevée par ses parents dans le maintien d’une identité juive par l’enseignement religieux, la préparation de sa Bar-mitsvah, équivalent judaïque de la communion solennelle. Qu’ont en commun ces deux individus si lointains, tant géographiquement que culturellement ? C’est le talent et l’habileté de Claire Hajaj, l’auteure de ce premier roman, de le dévoiler au lecteur.
Salim a baigné, dans les jours précédant l’éclatement du conflit, dans un décor marqué par sa famille, sa fratrie, son père, à l’influence si pesante : « Salim était sûr de lui. Il avait peu d’affection pour son père, ou pour Abou Mazen, ou pour tous ces hommes imposants qui venaient chez lui. Mais son monde s’était construit autour de l’odeur de leurs cigarettes et du bruissement feutré de leur conversation. Comment imaginer que l’assurance tranquille avec laquelle ils régnaient sur le monde puisse disparaître ? ».
Il y a, bien sûr, la maison aux orangers, source de rêves pour Salim, génératrice de souvenirs et d’une nostalgie intense : « Au cours de l’été, elles prendraient l’aspect de petits citrons avant de se transformer en fruits mordorés (…) L’air s’emplissait d’une douceur altérée ».
Pour Judith, les buts sont plus immédiats dans l’Angleterre des années cinquante, où l’on peut pratiquer la natation, sport dans lequel Judith excelle mais qu’elle abandonne, suite à ses échanges avec Peggy, une amie de son club de sport. Celle-ci lui fait comprendre que les préjugés sont vivaces, et qu’une Juive, même intégrée ou assimilée, ne peut postuler à l’entrée dans des grands clubs, ou encore pénétrer l’Establishment britannique.
Ces deux parcours se croisent en Angleterre, toujours, mais dans celle des années soixante, du swinging London, de la Pop Music triomphante, de l’éclosion de la permissivité dans une fraction de la jeunesse. L’auteur Claire Hajaj ne décrit alors pas un conflit transposé entre ces deux personnes, qui se rencontrent, tombent amoureux, sont en proie à maintes interrogations, à l’hostilité de certains membres de leurs familles, à l’incrédulité de leurs proches. Pourtant, ils maintiennent le dialogue, n’évitent pas les conflits, la séparation. Ce qui est admirable dans leurs conduites décrites dans ce roman, c’est cette aptitude à se souvenir de ce qu’ils sont, l’un un fils de propriétaires terriens palestiniens expulsés par la Nakba, l’autre une Juive incertaine sur les moyens de sauvegarder son identité après la Shoah, dans le nouveau cadre de l’après-guerre. La clé du roman figure peut-être dans les dernières lignes, lorsque Salim et Judith se retrouvent : « J’ai raté tant de choses parce que je regardais toujours derrière moi. Je l’ai perdue parce que je n’ai pas pu trouver mon propre chemin ».
Ce roman fait la place aux interrogations des personnages, à leurs scrupules, à leurs doutes. C’est en cela qu’il est exemplaire, surtout concernant le sujet traité. A qui appartient la Palestine, terre de conflits multi décennaux ? A Salim et à Judith, sans aucun doute…
Stéphane Bret
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