La Maison au toit rouge, Kyoko Nakajima
La Maison au toit rouge, traduit du japonais par Sophie Refle, mars 2015, 301 pages, 21 €
Ecrivain(s): Kyoko Nakajima Edition: Seuil
Une dame d’âge respectable, Taki, rédige pour son neveu les souvenirs de ses années de service passées dans la famille Hirai, un foyer de la bourgeoisie tokyoïte. Le maître de maison est sous-directeur d’une entreprise de jouets, passablement prospère. Il a fait construire récemment une maison à Tokyo pour son épouse, Tokiko, et le fils de celle-ci. Tout le récit du roman de Kyoko Nakajima est articulé autour du basculement incessant entre deux époques, celle des années 30 du Japon de l’entre deux-guerres, conquérant, impérialiste, mais où il fait bon vivre, où les mœurs sont stables, confinent à l’immobilité ; et le Japon des années soixante, celui de la croissance économique, d’une entrée dans le monde occidental, au moins en apparence…
Ainsi, la narratrice souligne-t-elle le temps que les maîtresses de maisons dignes de ce nom devaient passer à préparer le nouvel an, à peaufiner la préparation des mets, à la visite systématique de tous les voisins… Tâches perçues pourtant par Taki comme nobles, valorisantes. Dans le domaine de la perception de l’histoire de son pays, Taki, peut-être à l’instar d’une grande majorité de ses compatriotes, revisite l’histoire de son pays d’une manière surprenante, qu’un observateur contemporain pourrait aisément qualifier de révisionniste. Le fils de son neveu, Takeshi, lui fait remarquer que le Japon faisait déjà la guerre en 1936 :
« Mais, mémé, le Japon faisait déjà la guerre à cette époque-là, a-t-il rétorqué. J’ai essayé de lui dire que ce n’était pas encore la guerre, mais juste des incidents ».
La perception d’une époque est aussi très bien illustrée par l’auteure. Son héroïne, Taki, aime se rappeler l’enthousiasme qui régnait à Tokyo, provoqué par l’espoir de voir la candidature de Tokyo aux jeux olympiques acceptée. Il n’en fut rien, on le sait, et l’histoire a décalé cette joie de quelques décennies, les jeux étant enfin organisés en 1964, année de naissance de l’auteure. Autre trait du roman intéressant : la possibilité pour les femmes d’une « troisième voie », évoquée au cours d’un dialogue entre Tokiko et sa maîtresse de maison. Elle évoque le passage d’un roman d’une certaine Yoshiya Nobuko, une des premières femmes de lettres à avoir dévoilé publiquement son homosexualité. Une façon très indirecte de lui avouer la réalité de ses sentiments pour sa servante…
Roman attachant, centré sur les faits et gestes quotidiens de personnages de classes éloignées, et traversé par le filtre déformant de la nostalgie, ce qui ajoute à son charme.
Stéphane Bret
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