La main, par Nadia Agsous
En décembre dernier, j’étais à Alger invitée à participer à un forum sur le roman, en allant nous promener à la Casbah, on m’a agressée et on a volé ma chaîne mais pas ma main (pendentif).
Au commencement, dans le surgissement du Verbe, dans le flot du tumulte des mots, une main ; sur ma nuque, une main qui pendant un instant, un court instant, exaltait l’agréable senteur de la douceur, de la bienveillance ; la sensation d’une caresse comme un baume sur la vie.
Puis… De nulle part surgit une main ; une main échappée des profondeurs de la nuit ; une main empreinte de la noirceur du jour ; une main tendre, amicale, clémente qui se mua en un torrent de violence, s’empara de ma chaîne en or et blessa ma nuque ; les traces de ce rapt commis parmi la foule, dans le crépuscule du jour fuyant, un jour de bonheur et de quiétude, sont encore visibles, comme la trace d’une douleur vive qui éprouve un malin plaisir à faire durer le déplaisir du souvenir traumatisant.
Cette main surgie en un lieu improbable a laissé ses traces, elle a gravé ses empreintes. Son message sonne comme une musique d’ambiance qui revient en boucle :
« N’oublie pas, susurre-t-elle encore dans mon oreille, la vie est née d’une fragilité ; dans la fragilité elle vivra ; dans la fragilité, elle retournera ».
Moi, je refuse de retenir le message macabre de cette main. Je retiendrai plutôt l’image de ma main, mon autre main, celle en or massif, sertie d’une émeraude, que la main rapteuse ne réussit pas à ravir ; cette main, j’ai assisté à sa chute, sur le sol de la vieille ville d’Alger, cette terre qui a rendu l’impossible Possible ; cette enclave qui a habité ses rêves éphémères aux allures pourtant éternelles.
Au cœur de mon traumatisme, alors que le monde autour de moi était médusé et s’enfonçait dans les sables mouvants de l’hébétude et de l’incompréhension, ma main, celle qui est en chair et en os, celle qui résista à la main rapteuse, celle qui s’est débattue pour rendre minime le butin du rapteur, ramassa, vite, très vite la main en or comme si elle craignait que la main rapteuse ne sévisse une seconde fois.
Quatre jours ont passé et je ne garde de mon agresseur que l’image d’une AGILITE ; un corps, grand, maigre, qui, telle une tornade, se faufila parmi la foule et disparut de notre vue comme si nous avions été témoins d’une illusion, d’un mirage qui, à ce jour, laisse une drôle impression d’impuissance !
Et dans ma main qui tremblait de peur, de surprise et de soulagement d’avoir échappé à la tragédie, la main en or me suppliait de l’emporter dans la douceur de ma main devenue moite. Je l’ai serrée fort, très fort et l’ai enfouie dans la pochette de mon sac. A l’heure où je vous écris, elle repose calmement dans une petite boite de bois sculpté, loin de la main rapt’euse ; loin de la terre de la Casbah et de ses dangers millénaires.
Paris, Décembre 2015
Nadia Agsous
- Vu : 3026