La lumière de ma mère, Mehdi Charef (par Yasmina Mahdi)
La lumière de ma mère, Mehdi Charef, éditions Hors D’atteinte, Coll. Littératures, mars 2023, 120 pages, 17 €
Algérie, de l’origine
Mehdi Charef (né en Algérie en 1952, auteur et réalisateur, considéré comme le père de la « littérature beur »), construit son dernier roman autour de la figure maternelle. Après la trilogie Rue des Pâquerettes, Vivants, La Cité de mon père, La lumière de ma mère poursuit la trajectoire d’un enfant maghrébin et ce, depuis Maghnia, une ville moyenne de la commune de la wilaya de Tlemcen. L’auteur émigre en France à l’âge de dix ans. Son enfance et son adolescence se déroulent entre le bidonville de Nanterre et les cités de transit de la région parisienne. Fils d’un terrassier, il va travailler lui-même en usine de 1970 à 1983, comme affûteur ; d’où ce constat amer : « On nous considère comme des bâtards nés de rien, de personne ».
Mehdi Charef célèbre la bonté, le courage et l’abnégation de sa mère, femme maghrébine invisibilisée, participant du phénomène de masse d’une population immigrée exposée aux formes de pauvreté et d’isolement dans des conditions de vie indignes ; mère proscrite dans « une baraque sordide, obscure ». En dépit du très long séjour en France – toute une vie –, les exhortations haineuses et racistes se prolongent :
« Au fond, ma mère est à l’origine de tout. Elle est l’ennemie, la femme non désirée, non envisagée. Des gens disent qu’ils se sentent mal parce qu’elle est là, parce que ce n’est pas sa place, mais leur territoire à eux ».
A contrario, le fils aimé cerne le portrait d’une mère lumineuse, éclatante, livrant un combat héroïque au jour le jour afin d’élever ses enfants pour leur assurer un avenir meilleur.
Le passé fait retour avec les premiers jours de la jeunesse de la famille Charef, au milieu de l’oppression coloniale et de la soldatesque qui traque (et assassine) les moudjahidines – dont l’oncle maternel, laissé sans sépulture. L’auteur nous livre sans fard les affres de la douleur maternelle face au crime : « En voyant la maison de son frère encerclée par les soldats français, elle délirait déjà. Elle ne pleurait pas, ne criait pas, elle implorait. Elle inventait des mots, des phrases qui s’entrechoquaient. En moi montait l’angoisse qui faisait couler mon nez. Dans mes artères, ça brûlait… ». En paragraphes resserrés de cinq ou six lignes, des épisodes tragiques d’un fatum écrits en blocs condensés tiennent à la fois de la prosopopée arabe et du dialectal.
Le fils relève sa mère de l’anonymat et des injustices, pas à pas, elle, une jeune fille issue du reg au sol pierreux, désertique, âpre. Assèchement de la terre algérienne, au propre, de ses oueds, comme au figuré, à cause du dépeuplement et de la fuite de milliers d’hommes puis de femmes, devenus des sans-terre… Des mères, des fils, des pères, bien avant eux, « entassés comme des animaux (…) dans les convois qui les emmenaient mourir dans les chambres à gaz de camps de concentration en Allemagne ». M. Charef entend encore « Le cri des mères défendant l’humanité ».
Charef crée/crie/écrit des trames narratives courtes, en suspens, des scripts langagiers condensés, rapides : « Elle a mis son haïk, ses sandales aux lanières béantes et s’est mise à courir vers l’endroit d’où les coups de feu étaient partis. Ma mère courait très vite. / Elle courait vers l’enfer ». Ainsi, son écriture participe de la diglossie par les deux formes linguistiques (arabe et français) parlées dans des groupes sociaux intégralement séparés – c’est l’écrivain qui le précise, à son propos : « moi, l’inexistant, le petit indigène », jeté parmi « les esseulés, les désocialisés ».
Notons ces belles phrases enflammées :
« Elles étaient loin : je n’apercevais plus que deux petits points blancs qui peinaient derrière le rideau de vapeur de chaleur que répandait la terre caniculée sur l’horizon. (…) Les gens simples s’embaument le cœur d’imagination ».
Mehdi Charef signe ici une nouvelle version de la guerre d’Algérie, rouvre les charniers, effectue des chassés-croisés entre l’hexagone et l’Algérie. Il remonte la mémoire occultée des travailleurs immigrés, éprouve un amour filial empoignant pour « la fille de la montagne » exilée dans un bidonville : « L’exil, quand on est adulte, c’est être là où personne ne se souvient de votre jeunesse, ne vous a vue jeune et belle ».
La lumière de ma mère est un livre plein de vagues de grandes marées, de reflux symbolisant le destin d’une mère parée de couleurs, mère accompagnatrice, fidèle et fière.
Yasmina Mahdi
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