La Lucarne, Jean Meckert (par Gilles Cervera)
La Lucarne, Jean Meckert, éditions Joëlle Losfeld, avril 2024, 246 pages, 16,70 €
Edition: Joelle Losfeld
L’homme défait de Jean Meckert
Jean Meckert est cet auteur aux multiples vies dont cette dernière que les éditions Joëlle Losfeld ressuscitent livre après livre. Le neuvième à paraître sur une série de dix !
Connu sous le pseudo de Jean Amila, Meckert est mort en 1995. La Lucarne est un livre sombre, moins que Les Coups qui nous avaient tous saisis à leur re-sortie en 1993 grâce à Jean-Jacques Pauvert.
La Lucarne est écrite juste après-guerre et narre le juste avant. C’est, si l’on peut le dire ainsi, un livre plus idéalogique qu’idéologique. Nonobstant le climax de guerres sourdes qui sourdent, de nations qui se toisent, de ligues d’extrêmes droites triomphantes et de nazisme endémique, Édouard Gallois, le personnage central, enchante la paix, l’universel, bref le grandiose, l’iconoclaste. Le dérogeant dérange.
C’est un chômeur dont l’esprit ne chôme pas, toujours en trafic d’idées, en espoir d’idéal, en insomnies tracassées. Il veut convaincre et s’en ressent d’autant plus seul. Sorte d’apôtre de l’absolu, de prêcheur sans chaire, il met l’étiage si haut qu’il échoue en tout. Chômeur archétypal, pauvre mec, déclassé, tout se déchausse, tout s’effondre y compris son couple. Gisèle le méprise car elle continue de remplir le garde-manger et lui, quoi ?
Elle devient indifférente, le harcèle, fainéant bouge-toi, elle le pousse alors qu’Édouard résiste, illuminé de paix, irradié d’idéal. Son apostolat laïque fait rire, ses rêves insupportent et, le pire, son emploi théorique ne rapporte pas une miette. Certes il vend des cravates aux portes d’usines, il attend les sorties d’ouvriers, moins pauvres que lui. Il leur fait le boniment, pas crédible pour un sou. Il le sait tout en refermant sa valise affalée, recette zéro.
La Lucarne du titre existe bel et bien dans le petit appartement. Et sur le toit, s’écoulant dans la gouttière, un p. de tuyau d’évier, vue sur Paris et vertige sur cour.
Un soir de plus grand silence, Gisèle est là, triste embuscade, et, donc, tuyau bouché.
Turning point. C’est le début de la fin qu’on craint.
Il est là, l’art de Meckert. Tout va mal et le lecteur a peur que ça s’empire, il attend le passage à l’acte, craint que les surins servent et qu’un apôtre de la paix se révèle soudain à l’envers. Le réel est la grande affaire de Jean Meckert. Un réel de pleine face, un réel en feu d’artifices de bims et de bams.
On le voit que le livre est en noir et blanc, plutôt noir que blanc. Le style est du Louis-Ferdinand sans Céline car appliqué à la morale, moins à l’esbrouffe qu’à l’étouffe, un style de nécessité. Un livre écrit ou plutôt parlé en ouvrier car Meckert l’est. Un livre réaliste car l’époque n’est que peu à l’imaginaire : villes détruites sur toute l’Europe, éclopés de partout, désespérés, réfugiés d’exodes et retours (ou non) des camps. Ce que je dis n’y est pas. C’est l’art de Meckert de suggérer un fond d’écran où rien n’est dit alors qu’on comprend tout, du moins avec le recul. Meckert écrivait-il donc pour une réédition ? Laquelle permet de recontextualiser et de mettre en perspective. Il écrivait abstrait et nous, les lecteurs contemporains, le lisons concret.
C’est une écriture intériorisée. Nous sommes dans la tête de Gallois d’un bout à l’autre. Sans doute que l’autre c’est Meckert !
Il écrit puissamment même s’il se résigne à être pas ou peu lu. Il a du rythme même si peu, à l’époque où Meckert écrit, s’y retrouvent. Une écriture d’hommes où il n’est pas question de penser le masculin autrement que dans une dialectique du vainqueur ou du vaincu, du glorieux ou du faible, du maître à bord ou si t’es pas maître t’es mort.
Gallois est rien et en a la conscience aigüe.
Meckert est un écrivain solitaire comme Édouard Gallois, héros negatriste, vendeurs de cravates ou VRP en brosses. L’auteur décrit les exploités, les dominés et les montre non dans l’illusion qu’ils pourraient s’élever mais dans un réel de la vie intérieure tout en noblesse, en idéal, en projet d’universalité. On parlerait, ces jours-ci, d’assignation !
Les prolétaires de Meckert pensent s’ils parlent peu. Lorsque dans tel ou tel groupe où il tente de s’agréger, pour la Paix universelle, pour les fraternités, la parole est donnée à Gallois : ça ne sort pas.
Il reste antimarxiste car ils craint des ordres et comme l’auteur, préfère la grâce solitaire et dépressive aux collectifs illusoires et fascisants.
Lire Meckert comme relire Louis Guilloux auquel on pense. Quand l’idéalisme passe au-dessus du vide, il ne tombe jamais !
Gilles Cervera
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