La légende de Sleepy Hollow/The Legend of Sleepy Hollow, Washington Irving, bilingue
La légende de Sleepy Hollow (The Legend of Sleepy Hollow) suivie de Rip van Winkle + Le Lilas de Rip van Winkle d’Herman Melville, Traduction de l’américain Philippe Jaworski, 240 p. 7 €
Ecrivain(s): Washington Irving Edition: Folio (Gallimard)Formidable collection bilingue de folio qui nous offre ici trois des plus beaux textes de la littérature américaine du XIXème siècle. Ce bijou littéraire entre les mains, vous pouvez vous caler dans un fauteuil et partir dans l’univers merveilleux de Washington Irving. Merveilleux, pas fantastique, et c’est là le premier trait des récits de ce recueil. La nuance est d’importance. Nous sommes loin de Poe, de Hawthorne ou de Maupassant, dont l’art sublime est de glisser le surnaturel dans les failles du réel ordinaire, comme une irruption. Rien de tel avec Irving. Ses contes – et les deux contes majeurs de ce volume – prennent place dans des univers en soi merveilleux, propices au rêve, au surnaturel, à l’irrationnel.
La célèbre « légende de Sleepy Hollow » (La Légende du Val Dormant), de même que le deuxième conte de ce volume, le célèbre « Rip van Winkle », se situent ainsi en un pays de la vallée de l’Hudson baigné d’une atmosphère étrange, brumeuse, et aux couleurs du rêve. Là, point n’est besoin de s’évader du réel pour être dans le merveilleux. Un monde inquiétant parfois, irrationnel souvent, mais jamais terrorisant. Nous sommes loin, avec Irving, de l’adaptation cinématographique issue de ce conte qui cause de vraies frayeurs.
« Une chose est certaine : ce lieu est aujourd’hui encore sous l’emprise d’une puissante magie qui opère sur les esprits des braves gens, les plongeant dans un état de rêverie permanente. Ils s’abandonnent à toutes sortes de croyances extraordinaires, sont la proie de transes et de visions, voient souvent d’étranges spectacles, entendent de la musique et des voix dans l’espace autour d’eux » (La Légende du Val Dormant).
Les portraits de personnages – toujours hauts en couleurs – ainsi que les descriptions au scalpel des lieux, relèvent, chez Irving, au moins autant de la grande littérature que de l’art pictural. On « voit », derrière ses lignes, des tableaux flamands ou hollandais. Après tout, les personnages du conte sont tous des Hollandais ou leurs descendants. On sait que les fondateurs des Etats-Unis, en particulier ceux de la Côte Est et de New-York (région où se situent ces contes) étaient en majorité néerlandais. Vermeer n’est pas loin.
« Des alignements d’étains magnifiques disposés dans un long dressoir éblouirent ses yeux. Dans un angle de la pièce, un énorme sac de laine prête à être filée ; dans un autre, un monceau de tiretaine tout juste sortie du métier à tisser. Des épis de maïs, des chapelets de pommes et de pêches séchées pendaient en guirlandes joyeuses tout au long des murs en compagnie de babioles découpées dans des poivrons rouges » (La légende du Val Dormant).
Autre procédé rhétorique régulier chez Irving, qui contribue fortement à glisser l’ironie dans la narration de faits fantastiques, c’est le recours à des tiers « si on en croit les récits de bonnes femmes » ou encore « la chose est possible mais je ne saurais jurer de sa véracité ». L’effet recherché, plus que de vouloir paraître raisonnable au lecteur, est de lui restituer un état d’esprit des petits villages ruraux de l’époque, une sorte de moment d’une « histoire des mentalités » aurait dit naguère l’historien Emmanuel Leroy-Ladurie. On n’est pas loin d’une volonté monographique.
Le deuxième conte, Rip van Winkle, est une pure merveille, dans tous les sens du terme. Irving ne s’embarrasse en aucun cas d’explication pour éclairer l’étrange destin du bonhomme van Winkle. Ce n’est pas son souci. Par contre quelle peinture villageoise, et en son sein, quel tableau du couple van Winkle ! Ce brave homme est marié à une espèce de virago épouvantable, qui le harcèle en permanence presque depuis le mariage. Situation essentielle à la compréhension de ce qui va arriver à Rip, car que ne ferait-on pour échapper à une telle mégère ? Vous l’avez compris, on sourit plus qu’on ne tremble dans ce récit délicieux.
Un passage de ce conte nous ramène à la remarque susdite à propos du talent « pictural » d’Irving. L’auteur lui-même nous livre une clé de son art :
« C’était un vieux monsieur corpulent à la face burinée. Il portait un pourpoint à dentelle, une large ceinture munie d’une boucle pour son couteau, un chapeau haut de forme assorti d’une plume, des bas rouges et des souliers à hauts talons ornés d’une rose. Cette compagnie rappelait à Rip les personnages d’une peinture flamande ancienne accrochée dans le salon de Dominie van Schack, le pasteur du village, qui avait été apportée de Hollande à l’époque de la colonisation ».
Pour soigner ses portraits, Washington Irving regarde et décrit des… tableaux. Quelle belle idée littéraire !
Et le bonheur n’est pas encore complet. Ce petit livre nous réserve encore un délice d’une trentaine de pages, intitulé « Rip van Winkle’s Lilac/Le Lilas de Rip van Winkle » et signé rien moins que de Herman Melville. Mais oui, le grand Melville, celui de Moby Dick ! Superbe et délicat hommage à Washington Irving et à son personnage inoubliable de Rip van Winkle.
Que dire encore ? Bravo Folio, cet opuscule est une merveille concentrée qui, en plus, nous permet d’apprécier la langue originale de Washington Irving. Formidable plaisir qui s’allie au confort du « sous-titrage » de la traduction excellente de Philippe Jaworski. Tout ça pour quelques euros, précipitez-vous !
Léon-Marc Levy
VL5
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