La langue oubliée de Dieu, Saïd Ghazal
La langue oubliée de Dieu, Erick Bonnier Editions, janvier 2017, 232 pages, 20 €
Ecrivain(s): Saïd Ghazal
C’est un livre travaillé par la mémoire. Le lecteur comprend au fur et à mesure des mots et des phrases combien il peut être difficile de se souvenir comme d’oublier : « Wardé, ma grand-mère, avait la hantise de la mémoire disloquée, elle pratiquait le délire obsidional. J’étais l’entonnoir dans lequel son passé se déversait avec un amour mâtiné de haine ».
Aram est le descendant d’un peuple de confession syriaque parlant l’araméen, il est le dépositaire du cahier de son grand-père, personnage à la fois truculent, rempli d’une sincérité et d’un vouloir vivre hors du commun. « J’ai la langue mouillée par le ressac alphabétique d’un syriaque rouillé, d’un arabe trahi et d’un français adopté ».
Il faut qu’il traduise ce cahier, il n’a pas le choix, s’il veut enfin vivre avec lui-même. Rejeton d’une histoire d’amour et de meurtre, il vit avec une prostituée qu’il honnit, entre autre pour le rôle qu’elle a joué dans cette histoire qui le hante. « Didon, inconnue multiplicatrice de toutes coordonnées dans l’équation de mon existence. Ton émergence a fait chavirer l’opération d’addition simple de ma vie familiale et amicale ». Le style de l’auteur est flamboyant, il force l’admiration tant il est travaillé par une poésie du corps et des émotions :
« Ils s’ignoraient comme ils se connaissaient, sans jamais s’avouer. Ils n’étaient plus que deux corps calqués l’un sur l’autre. Le négatif l’un de l’autre. Ils se révélaient dans la chambre noire de l’incertitude. Ils baisaient l’anonymat. Ils baisaient avec objectivité ».
Chaque personnage revêt l’épaisseur d’une histoire dépassée. « Même quand une quinte lui déchirait la gorge, la cigarette s’accrochait avec un entêtement à ses lèvres, comme un alpiniste s’accroche à sa paroi au milieu des bourrasques ». Dans chaque phrase, le lecteur perçoit le souffle d’une vie cruciale. Point de fuite possible, ici le dire est dans l’être. « Il voulait rester un et seul dans les entrailles de cette aventure, n’être qu’un avec le livre comme Dieu avec le verbe, ne faire qu’un avec l’émotion ». Ce livre est traversé d’un récit et d’une poésie viscérale, à chaque mot, le lecteur pressent la possible libération par l’écriture. « Chaque poète a le même moyen : il charge sa plume et se tire un mot dans la tête ».
Zoé Tisset
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