La jeune fille et Gainsbourg, Constance Meyer
La jeune fille et Gainsbourg, Archipoche, janvier 2016, 165 p. 6,80 €
Ecrivain(s): Constance MeyerC’est l’histoire (vraie) d’une jeune fille qui, « la tête remplie de rêves » en 1985, eut l’audace de laisser une longue lettre sous la porte de l’hôtel particulier du 5 rue de Verneuil. Serge Gainsbourg fut alors immédiatement séduit par l’authenticité et la puissance de ses mots, de ces « petits riens » qui embellissent la vie, même les plus exceptionnelles, y compris celle d’un albatros aux ailes de géant. C’est ce petit bout de jeune fille qui lui inspira le mot « constance » dans ses chansons à partir de 1986. « Constant dans l’inconstance, tu ne sais pas où tu vas », lui susurre Charlotte dans la chanson Plus doux avec moi. La vie est souvent à la croisée d’heureux hasards. Encore faut-il savoir saisir ces instants. Constance sut tout de suite que Serge était une âme amie : « Je me sens déphasée avec un je-ne-sais-quoi de proximité. Cet inconnu m’est bizarrement très familier ».
Constance Meyer a attendu 25 ans avant d’oser raconter son histoire extraordinaire avec cet être hors norme qu’était Serge Gainsbourg. Suite à la parution de ce témoignage en 2010, elle a pu rencontrer et échanger avec des proches de l’icône française, ses biographes, le patron du Galant Verre ainsi que son ancien voisin Jean-Jacques Debout (auteur compositeur marié avec Chantal Goya) qui a très bien connu Serge mais qui ignorait que la mystérieuse « étudiante » était en fait sa gentille voisine, Constance.
L’auteure a souhaité partager ses moments d’échanges complices avec les proches de Gainsbourg dans une nouvelle édition augmentée qui est parue début 2016.
Certains pourraient avoir une appréhension avant d'ouvrir le livre et imaginer une relation "nympholepte" semblable à la Lolita de Nabokov, puisque Constance n’avait que 16 ans lorsqu’elle fit sa première rencontre avec Gainsbourg. Mais, cet a priori s’évanouit instantanément à la lecture de la première page, on est irrésistiblement séduit par la fraîcheur et la profondeur du récit. C’est comme écouter une mélodie légère, optimiste, insouciante qui ouvre toutes les voies du possible. Comme les débuts d’un amour grandissant. Constance Meyer a su écrire son témoignage avec l’esprit de ses 16 ans. On y sent encore des grands yeux ouverts sur le monde, prêts à accueillir des instants parfaits de bonheur. On aime la finesse des sentiments qui y sont décrits. Le style de cet auteur rappelle par certains moments celui de Françoise Sagan, l’éternelle adolescente. On y sent une envie pressée de vivre de grandes choses. A force de lire des romans, Constance a d’ailleurs toujours espéré que sa « vie sera aussi riche en émotions que les lignes d’un livre ». Et à l’éternel débat du « vaut-il mieux vivre la vie des romans ou la vraie vie ? », elle a toujours penché pour la vie romanesque. Et cela lui a plutôt réussi.
L’auteur surprend aussi par la maturité de son adolescence. Sa relation avec Gainsbourg ne ressemble pas du tout à celle d’une simple groupie. Elle connaît bien la dualité de Gainsbourg/Gainsbarre. Cela s’explique selon elle par l’éducation stricte qu’il avait reçue, qu’il cultivait et transgressait à la fois. Il détonait également par son humeur caustique « la laideur a ceci de supérieur à la beauté, c’est qu’elle dure ». Paradoxalement, Gainsbourg est devenu beau à partir de la quarantaine. Son regard a toujours été chargé d’émotion et de mélancolie. La vie aime souvent faire rimer beauté et tristesse. Il était d’une « joyeuse mélancolie ». « Un poète et un clown ». Un être qui ne supportait pas la médiocrité.
Bien que cet amour se soit terminé brutalement en raison de la mort soudaine de Serge Gainsbourg en 1991, une douce sérénité se dégage de ce récit. On a l’impression que cet amour continue de vivre, de s’épanouir, d’avoir atteint l’éternité. Comme si cet amour était une évidence.
Au fil des lignes, en lisant cette histoire d’amour suspendue hors du temps, on finit pas être convaincu que le hasard n’existe pas.
Constance Meyer réussit admirablement à nous « insuffler un vent de liberté sans préjugé », qui ressuscite en nous la jeunesse et la joyeuse inconstance de nos vingt ans. Un livre à lire absolument par les gainsbouriens et les amoureux de l’amour avec un grand A ou encore de l’amour constant dans l’inconstance.
PS : Pour la petite anecdote, j’étais en train de lire La jeune fille et Gainsbourg sur la ligne 6 du métro parisien au moment où l’auteur expliquait que Serge Gainsbourg aimait bien s’isoler à l’Hôtel Raphaël pour retrouver son inspiration. Il se trouve que ce jour-là, j’avais justement un rendez-vous professionnel à l’hôtel Raphaël. Alors que je n’avais même pas fait le rapprochement entre cet hôtel et Gainsbourg (malgré ma lecture), je me suis soudainement retrouvée nez à nez avec un immense portrait de Serge Gainsbourg dans le hall de l’hôtel. J’ai fait part de cette drôle de coïncidence à Constance Meyer, qui m’a aussitôt répondu qu’elle ne croyait plus au hasard, mais qu’elle avait mis du temps à le comprendre.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
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