La honte, Réflexions sur la littérature, Jean-Pierre Martin
La honte, Réflexions sur la littérature, février 2017, 420 pages, 7,70 €
Ecrivain(s): Jean-Pierre Martin Edition: Folio (Gallimard)
La honte est un des grands moteurs de la création littéraire. Elle prend de multiples formes : personnelle ou sociale, historique ou politique. Parmi les textes plus connus sur ce thème, d’emblée reviennent les pages de Rousseau dans Les Confessions, ou Albert Cohen dans Solal, où les auteurs s’auto-flagellent (mais juste ce qu’il faut), et celles – bien différentes – d’Antelme, Semprun, Primo Levi, où ce sentiment s’empare paradoxalement des survivants selon un métabolisme biologique paradoxalement paradoxal. Il existe néanmoins une honte plus consubstantielle à la racine de l’écriture – chez Witold Gombrowicz par exemple.
Jean-Pierre Martin approfondit ce qu’il nomme ces « gouffres de déconsidération » qui nous rendent souvent si proches de ceux qui s’osent, se haussent ou s’abaissent à de tels aveux qui forcent (ou forceraient) à sortir de toutes poses. Le processus est complexe car il s’agit de surmonter le regard des autres (famille, société) et le sentiment intérieur qui oblige le plus souvent à n’oser sortir de ce qui invite au silence plus qu’à l’aveu. Ce sentiment peut devenir si paroxysmique qu’il arrive à un auteur de ne pas en survivre : chez Primo Levi ou encore Charlotte Delbo (que l’auteur ne cite pas).
Il arrive parfois aussi qu’un créateur soit contraint à un tel exercice que personne ne lui demande mais qui soudain prend l’urgence d’une nécessité. L’inhibition se trouve levée selon une pulsion qui peut être autodestructrice mais qui peut parfois jaillir comme tentation éperdue de reconnaissance selon un détour de la théorie judéo-chrétienne de la contrition. Dans le premier cas se rencontre Kafka, dans le second, Malraux. Preuve que le combat ou la postulation est inégale. Au jusqu’auboutisme de l’un répond la mise en pause de l’autre.
Dans le second cas, tout dire n’est-ce pas dire autre chose, tuer ce qui tue, créer une communication « de crise » en s’emparant des mots et leur mono-scénie ? La honte peut assurer une transparence contrôlée : Rousseau l’a bien compris : sa « timidité maladroite » peut séduire. Gombrowicz a repris ce flambeau où non seulement le pardon mais les lauriers sont au bout du discours.
Martin fait le tri entre « le honteux refoulé, le bouffon cache-misère, l’imposteur empêtré ». Dans leur diaspora ils valent mieux néanmoins que tous les politiques qui utilisent le mensonge comme une arme et la honte comme une posture. Et ce, même lorsqu’ils sont pris à leur propre scénario au moment où ils croyaient bien avoir caché leur jeu (la politique française en donne actuellement bien des preuves).
Mais l’auteur fait le point sur la spécificité de la honte littéraire. Il la nomme : « Le fait de plus penser qu’on ne peut. Le fait de se souvenir plus qu’on ne se souvient ». Cela peut sembler une spéculation, voire une honte de plus… Toutefois l’analyste montre tous les plis dans lesquels un auteur peut se cacher. Avec un peu d’habileté et refusant apparemment l’anorexie langagière, les habiles de la transparence ne sont pas forcément « à la ramasse » : ils atteignent par la feinte langagière en finesse et inventivité à une vacance littéraire afin que les autres leur foutent enfin la paix.
Jean-Paul Gavard Perret
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