La guitare de diamants et autres nouvelles, Truman Capote
La guitare de diamants et autres nouvelles, trad. anglais (USA) Germaine Beaumont, Serge Doubrovsky, février 2016, 112 pages, 2 €
Ecrivain(s): Truman Capote Edition: Folio (Gallimard)
Dans une interview donnée au magazine The Paris Review, fin 1957, Truman Capote s’exprimait sur son irrésistible penchant pour l’écriture de nouvelles :
« Mes ambitions les plus inébranlables tournent toujours autour de cette forme. Lorsqu’elle est sérieusement explorée, la nouvelle me semble la forme la plus difficile et demandant le plus de discipline en matière de prose existante. Quels que soient le contrôle et la technique que je peux avoir, je dois entièrement ma formation à ce genre littéraire ».
Il insiste également sur la qualité du rythme des phrases, l’importance de la ponctuation, allant jusqu’à qualifier Henry James de « maestro du point-virgule ».
Le recueil publié par Folio qui regroupe trois nouvelles écrites au début des années cinquante, La bonbonne d’argent, La guitare de diamants, et La maison de fleurs, est l’occasion d’apprécier de manière concrète son haut niveau d’exigences.
La bonbonne d’argent est une histoire savoureuse qui s’apparente à un conte de Noël. Dans une petite ville du comté de Wachata, le propriétaire d’un drugstore, afin de renflouer un commerce mis en péril par un concurrent peu scrupuleux, décide quelques jours avant Noël de remplir une bonbonne vide, de pièces de cinq et de dix cents. Tout acheteur dépensant chez lui une somme d’au moins vingt-cinq cents pourra essayer de deviner le montant total des pièces contenues dans le récipient. Celui qui trouvera la somme exacte remportera le pactole. Pépin-de-Pomme, un gamin pauvre, flanqué d’une sœur aux rêves de « grande dame au cinéma » et affligée d’un gros défaut de dentition, se décide à compter les pièces en fixant la bonbonne du regard.
Dans nombre de ses nouvelles baignant dans le Sud rural, Truman Capote jongle à merveille avec un réalisme fouillé dans les moindres détails et un irrationnel dont son enfance en Louisiane l’a imprégné à tout jamais. La Bonbonne d’argent n’échappe pas à la règle. La seule explication que Pépin donne à son étrange tactique, lorsque l’on doute de ses capacités à deviner la somme, se résume à ceci : « – Oh non ! il suffit d’être né coiffé. Une dame en Louisiane me l’a dit. C’était une sorcière, et, quand Maman n’a pas voulu me laisser seule avec elle, elle lui a jeté un sort et alors Maman n’a plus pesé que soixante-quatorze livres » (p.27).
Les petites touches, tour à tour tendres ou ironiques, peaufinent le portrait d’une bourgade presbytérienne peuplée de représentants typiques de la working et lower middle class, en proie à l’appât du gain, aussi modeste soit-il.
L’histoire de La guitare de diamants se déroule dans une ferme-prison. Mr Schaeffer y purge une peine de « quatre-vingt-dix-neuf ans et un jour de prison » pour le meurtre d’un homme, et occupe ses mornes journées à confectionner des poupées qui sont vendues dans un bazar de la ville la plus proche. Univers borné et répétitif qui se voit chamboulé par l’arrivée d’un jeune détenu de dix-huit ans, Tico Feo, un bellâtre cubain, portant à la main « une guitare incrustée de diamants de verre aux scintillements étoilés ». Du toc bien entendu, et pourtant l’élément clé véhiculant les notes de merveilleux et de gaîté qui font cruellement défaut dans cet univers carcéral. Du toc également, ces sentiments que l’adolescent semble éprouver à l’égard d’un Mr Schaeffer plus prompt que lui à succomber à ses émotions. « Mr Schaeffer était le seul à comprendre leur émotion car il l’éprouvait aussi. C’était simplement que son ami avait ressuscité les rivières brunes où sautent les poissons, et les femmes avec le soleil dans leurs cheveux » (p.62).
Rêve de plénitude pour l’un, réalité de désir d’évasion pour l’autre. Lorsque Mr Schaeffer chute dans le ruisseau au moment de se faire la belle, « il demeura ainsi, suspendu un instant comme un oiseau-mouche, mais en cet instant il put voir que Tico Feo n’avait jamais souhaité qu’il le suivît, n’avait jamais pensé qu’il le pourrait » (p.73).
Truman Capote flirte dans cette nouvelle avec le thème de l’homosexualité. Il prend la peine (trop, peut-être ?) en quelques phrases d’en écarter l’éventualité pour ses deux héros, tout en reconnaissant sa pratique dans une ferme-prison. Précaution contre la censure de l’Amérique puritaine des années 50, après la tempête déclenchée par la publication en 1948 de Les domaines hantés, où il pose sur la photo en dos de couverture dans une attitude lascive ?
Détour par Port-au-Prince, dans La maison de fleurs. Sans doute aussi l’écho de souvenirs de ses séjours à Haïti. L’écrivain a le regard et le verbe affutés. Il excelle à saisir les désirs enfouis, à s’immerger dans la magie troublante des pratiques vaudou, à traduire l’ambiguïté des comportements humains. Cette nouvelle en est le parfait exemple.
Ottilie travaille dans un bordel de Port-au-Prince, une maison « branlante, étroite comme un clocher et damasquinée de balcons fragiles enlacés de bougainvillées. Bien qu’aucun signe extérieur ne le signalât, on l’appelait Les Champs-Élysées » (p.81). Plus jeune et plus belle que les « dames » qui l’entourent, elle devient vite la coqueluche de la riche clientèle qui fréquente le bordel. Son bonheur serait parfait si elle ne ressentait le besoin impérieux de tomber amoureuse. Sa rencontre, lors d’un combat de coqs, avec Royal Bonaparte, un séduisant jeune paysan indigène doté d’une mère jouissant à la ronde d’un prestige de jeteuse de sorts, va sceller son destin. Pétri de petites phrases délicatement malicieuses, ce récit « charme », dans tous les sens du terme, le lecteur qui prend le temps de se laisser bercer par la prose élégante et ciselée de l’un des plus grands écrivains américains de sa génération. Un univers riche et envoûtant.
Toutes ces nouvelles reflètent la vision désabusée d’un véritable esthète sur la condition humaine. La tendresse et la sensibilité avec lesquelles Truman Capote tricote ses portraits se nuancent d’un parfum doux-amer, de mélancolie, et dévoilent sous l’apparente légèreté et délicatesse de la plume, sous l’humour bienveillant, le fond de tempérament pessimiste et non encore dépressif de l’auteur de De sang-froid.
Catherine Dutigny/Elsa
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