La guerre des salamandres, Karel Capek
La Guerre des salamandres, 1936, mai 2012, trad. du tchèque Claudia Ancelot, 316 p. 18 €
Ecrivain(s): Karel Čapek Edition: La Baconnière
La lecture de ce livre terminé, on se met aussitôt à douter. A-t-il vraiment été édité en 1936 ? N’est-ce pas un « coup » marketing quelconque ? On pense au livre d’Antoine Bello, Les falsificateurs, en se demandant si cette réédition est une vraie réédition, si le livre n’a pas pu être écrit ces derniers temps et pas il y a 80 ans tant il semble si moderne dans son propos et dans sa forme, en plus de faire preuve de certains talents visionnaires…
En tout cas, les Editions La Baconnière ont l’excellente idée de rééditer, en collaboration avec Ibolya Virag, La guerre des Salamandres de l’auteur tchèque Karel Capek. Précurseur de la science-fiction, il est notamment l’inventeur du mot « robot ». Il avait même été l’un des favoris pour le Prix Nobel dans les années 34-35, mais il avait été mis hors course pour ne pas froisser Hitler…
La guerre des Salamandres commence dans une petite île du Pacifique, quand le capitaine hollandais Jan van Toch découvre une nouvelle espèce. Ils ressemblent à des lézards ou des salamandres. Ils ont une peau de grenouille, une longue queue, des mains qui ressemblent à celles des hommes, mais qui ne comptent que quatre doigts. Ils ont la taille de petits enfants. Quand ils marchent, leurs corps se dandinent comme des pingouins. Van Toch les surnomme Tapa-boys. Ou plus simplement, les salamandres.
Mais le plus étonnant, c’est leur intelligence. Quand on leur parle, ils écoutent. Ils apprennent vite à parler. Il suffit de leur donner un journal et ils connaissent la langue.
Jan van Toch leur offre des armes, des harpons et des couteaux pour leur permettre de se défendre contre les requins, en échange de perles que les amphibiens vont chercher en mer.
Le capitaine s’enrichit, les salamandres s’arment. Tout le monde est content…
Peu à peu, on voit apparaître des salamandres dans toutes les mers du globe. Les gens s’en amusent, ils en font des spectacles. Mais pour beaucoup, ces salamandres sont surtout une main d’œuvre très bon marché. Elle ne coûte presque rien et les profits qu’elle engendre sont colossaux.
Dans des pages très amusantes, des personnages expliquent que toutes ces premières pages consacrées au capitaine van Toch, c’est de l’aventure à la Jack London ou à la Conrad. Mais il est temps que ça change. « Nous remplaçons le roman d’aventures de la pêche des perles par l’hymne du travail ».
Les salamandres sont toujours plus exploitées par l’homme. En échange, elles ne demandent que des armes qu’elles emportent au fond des mers, là où aucun humain ne pourra jamais savoir ce qu’elles fabriquent…
Jusqu’au jour où elles feront valoir leur revendication.
La guerre des Salamandres est un récit de science-fiction, mais c’est aussi une satire où l’humour est toujours présent.
Le roman est déstructuré, explore différentes formes pour éveiller l’attention. Il multiplie les points de vue. Il n’y a pas vraiment de « héros » qui sert de fil conducteur. Certains personnages passent et s’en vont, d’autres reviennent, mais ce qui compte surtout, c’est la profusion des points de vue, mais aussi des sources. Des témoins, des extraits de journaux, des comptes-rendus de sommets internationaux, etc.
L’auteur fait aussi intervenir des célébrités de l’époque qui commentent l’actualité, ou s’amuse à raconter des histoires dans les notes de bas de page. Mark Z. Danielewski s’est-il inspiré de La guerre des salamandres pour écrire La Maison des feuilles ?
Karel Capek a écrit le livre en pleine montée du national-socialisme. Le propos est politique. Les salamandres viennent déstabiliser l’ordre humain établi en créant un nouvel ordre qui rafle tout sur son passage…
C’est aussi une critique du capitalisme (pas forcément d’une grande originalité, mais n’oublions pas que le livre a été écrit en 1936…). L’homme est prêt à tout pour le profit, pour gagner toujours plus d’argent. Et pour en gagner toujours plus, il est même capable de sacrifier des vies, et il est même prêt à sacrifier la sienne. Il mourra peut-être plus vite, mais il mourra riche.
Il est aussi prêt à sacrifier son environnement. Un message écologique avant l’heure. Où l’éternelle histoire de scier la brancher sur laquelle on est assis…
Yann Suty
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