La Grande Fête sans fin, Jean Hans Arp
La Grande Fête sans fin, janvier 2014, 13,50 €
Ecrivain(s): Jean Hans Arp Edition: Arfuyen
Le poème-vie
C’est avec une vraie attente que j’espérais le livre de Jean Arp, recueil de poèmes venus de l’allemand, langue qui est une des langues maternelles du poète. Et ce que l’on sent tout de suite, même en français, c’est la vitalité du rythme et de la prosodie. On n’y sent pas un homme appesanti par l’âge ni sommeillant dans une routine poétique. C’est l’effet de vie, et presque de violence, qui entête le lecteur et je trouve que cette force esthétique un peu iconoclaste va bien aux cinq recueils qui constituent l’ouvrage.
Cela dit il faut expliquer la vie, le caractère vital qui sourd du recueil. Et tout d’abord par l’impression de mouvement, impression que rien n’est statique, que tout est tendu, instable, susceptible de grandir ou de se rompre, de se dilater. J’ai d’ailleurs commencé cette lecture à l’écoute de La Mer de Debussy, et je me dis maintenant qu’il n’y a pas tout à fait de hasard et que cette poésie se rattache peut-être d’avantage à la musique française, et notamment à Erik Satie, avec ses Gymnopédies par exemple.
Mouvement donc, et fantaisie aussi. Quête tout nettement spirituelle aussi. Chemin intérieur qui se cherche, avec peut-être un peu de l’excentricité du musicien d’Arcueil, puisque je le signalais.
De là il voit bien
tous les chemins
qu’au cours de sa vie
il aurait dû prendre.
A la place d’une tête
il aimerait avoir
une étoile.
À la place de la tête
il aimerait avoir
un bouquet
d’étoiles.
On voit l’importance du voyage intérieur, très souvent ; la vie, la mort et tous les chemins qui y mènent. Je me rappelle à ce sujet cette citation que je fais de tête de Jean de la Croix : « si tu cherches un chemin, prends celui que tu ne connais pas ». Accompagnons un instant encore le poète :
Mots de merveilleuses promenades.
Mots en promenades.
Mots flocons.
Clairs mots de fleurs enfouies.
Mots de montagnes flottantes
ou si vous trouvez cela exagéré
mots de montagnes de nuages.
Mouvement, fantaisie, quête, et langage, langue qui se joue presque d’elle-même, qui virevolte comme un insecte, qui suit le tintement joyeux du poète parfois, ou encore sa gravité. Je disais tout à l’heure Debussy et je crois que cette poésie en est proche, plus que de la Symphonie des Alpes.
Bien sûr, quelques onomatopées un peu lettristes donnent à la fois une couleur historique et langagière, et je pense notamment aux travaux de Raoul Hausmann qui a vécu dans la région où j’habite, disparu en 1975. Je dis cela à dessein car le peintre allemand que je cite écrivait aussi en français. D’autre part, les Olmen de Arp font penser aux Portraits des Meidosems. Et encore des relations avec la peinture, et bizarrement j’ai pensé à Delvaux ou Magritte, donc des figures très dessinées.
Il n’y a donc pas qu’une seule route vers ce grand festin sans fin, mais un vrai poème-vie, une recherche pure dans le langage simple de la flamme, presque blanche parfois et si difficile à définir. Arp est peut-être, à son insu sans doute, le poète blanc, le poète transparent et livide.
Didier Ayres
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